jeudi 20 août 2015

La bande dessinée n'est pas du cinéma.

Tome, Janry, et Stuf se plantent un peu.

BON. ALORS. OU EN ÉTIONS-NOUS RESTÉS ?

Les auteurs Tome, Janry, et Stuf, dans une fort louable envie de pousser leurs techniques le plus loin possible, ont voulu modifier leur manière de raconter/dessiner/colorier Spirou. Et ils ont vu les choses en grand. Ils ont tout changé.

Seulement, comment renouveler complètement son style et garder un niveau qualitatif aussi haut que pour les précédents livres ? Pas facile. Forcément, on doit passer par des phases de tâtonnement, des essais pas forcément réussis mais qui amèneront à mieux comprendre ce qu'on veut faire et à se gaver au livre suivant (comme pour les premières couleurs de Stuf, par exemple).

Sur ce coup, les auteurs ont essayé de se raccrocher aux branches en se disant (j'adore faire parler les auteurs sans leur accord et juste pour qu'ils disent exactement ce que j'ai besoin qu'ils disent) : « Bon, les gars, on cherche à faire un récit plus réaliste. Et quel médium présente des récits plus réalistes avec des tas de solutions dont on pourrait s'inspirer ? Le cinéma. »

LE CINÉMA ?

Le cinéma .

EST-CE QU'ON EST SÛR DE ÇA ?

Franchement, oui. Ils y a des tas d'éléments dans machine qui rêve qui font penser au cinéma.

DES PREUVES ! JE VEUX DES PREUVES !

Puisque vous insistez, allons-y pour une bonne et longue énumération.

LES OPPOSITIONS ORANGE CONTRE BLEU.

Toutes les couleurs de machine qui rêve sont basées sur ce hiatus entre le orange (des gentils) et le bleu (des méchants).


Et bin dans les films (actuels) (et plutôt à gros budget), c'est pareil.


La répartition des couleurs dans les bandes annonces en 2014.

Pourquoi ? Parce que le orange et le bleu sont des couleurs complémentaires qui se font naturellement et efficacement ressortir l'une l'autre. Cela crée des images naturellement contrastées et plus lisibles, sans qu'on ait à se prendre le chou cent-sept ans. Et, en plus, maintenant, on peut faire tout seul dans son coin durant le ré-étalonnage numérique du film.



Du coup, c'est souvent dans les films d'action (ou dans les bandes annonces) qu'on utilise ce mélange bleu/orange. Parce que ce sont des films qui vont vite, avec des images illisibles moches port nawak dont on a besoin de faciliter la lecture.

On pourrait très bien faire ce genre de contraste colorimétrique avec du vert et du rose. Mais bon, le rose... C'est un peu moins cinégénique.

« Ouais... C'est une manière d'expliquer les choses... »

Bref, Tome, Janry, et Stuf utilisent le même concept dans Machine qui rêve : accroître les contrastes de couleurs pour faciliter la lecture des différentes cases et faire ressortir le personnage de Spirou par rapport à son environnement.

Comme ici on fait ressortir les personnages par rapport au décor du fond.
(Presque tous les extraits de films seront tirés de Piège de cristal, de John Mc Tiernan.)

LES CADRAGES EXPRESSIFS.

Les zooms, quoi. Arrêtons de nous la péter avec des termes que personne comprend, ça devient pénible.



Au cinéma, quand on cadre quelqu'un en gros plan, c'est pour saisir sur son visage les moindres variations de ses sentiments. Il est émotionné : on va regarder ça au plus près.

Quand on zoome sur un personnage, c'est qu'un nouveau sentiment naît en lui. On était là, tranquille, à la cool, en plan large, et tout d'un coup, une pensée, un évènement choque notre personnage, et des tas de sentiments le traversent, et on se rapproche de lui pour voir ce sentiment prendre corps.

C'est ce qui arrive à Spirou et Hans Gruber dans les extraits ci-dessus. Ils sont trop choqués.

LES DÉCORS.

ce n'est pas spécialement le décor en soi qui est cinématographique, mais la manière de le représenter. Voyez dans l'extrait ci-dessous :


Première image : décor net. Deuxième et troisième image : décor beaucoup plus schématique, décor flou.

Au cinéma, le flou, c'est quand on n'en a rien à foutre. C'est pas compliqué : le sujet est net ; ce qui intéresse le sujet est net ; ce qui n'intéresse pas le sujet est flou.

Le sergent Al Powell a déjà bien du mal à sauver sa vie. Tout ce qui l'intéresse, c'est son volant. Tous le décor au fond est flou. 
Par la suite, Argyle est tranquille dans sa voiture à écouter de la musique sans se préoccuper de rien d'autre : 
la voiture de Al Powell est donc floue à son tour.

De la même manière, Al Powell est flou, parce que le chef de la police en a rien à foutre de sa gueule.

Et donc, là, tout pareil aussi : le décor devient flou parce que le policier, tout à son coup de téléphone, n'en a plus rien à faire de surveiller la maison et ne fait plus gaffe à rien. Notamment aux lumières qui s'allument dans le fond.

LES JEUX DE LUMIÈRE, JUSTEMENT.



Quand on s'appelle JJ Abrams et qu'on veut se la péter à peu de frais en comprenant rien au cinéma veut représenter une certaine perte de repère chez un personnage (due à une euphorie passagère, un effort soudain, ou à une tête située dans le fondement), ça se fait, des fois, d'utiliser des réverbérations bizarroïdes de lumières. Un peu comme quand on se réveille et qu'on a les yeux qui piquent, et que la moindre source lumineuse nous fait l'effet d'un spot de 3000 watts (on est pas au taquet, on est un peu perdu, on flotte).

Dans les extrait ci-dessus, Spirou est un peu perdu, et Hans flotte (de joie).

LES AMORCES.

(Les trucs qui se passent devant le sujet de l'action et qui forment une sorte de contrepoint à l'action principale.)

ici, le jeu du chat et de la souris.

Ici, les phares de voiture de police et le policiers qui s'affairent 
(une amorce qui disparaît à partir du moment où les deux agents du FBI décident de prendre les choses en main).

OUI BON BREF. ON A COMPRIS JE CROIS. CINÉMA, CINÉMA, TCHI TCHA.

En partant sur Machine qui rêve, le but des auteurs était de freiner sur les exagérations et donner un tour plus réaliste aux actions représentées. Pour cela, les auteurs se sont naturellement inspirés d'un art plus réaliste (avec des vrais gens dedans) (même s'ils sautent d'un immeuble de cinquante étages accrochés à un tuyau d'incendie ou qu'ils se tapent contre des robots géants venus de la Lune) : le cinéma.

OUI BIN BON D'ACCORD, MAIS : 1 - LA PLUPART DE CES FILMS SONT POSTÉRIEURS À MACHINE QUI RÊVE, CE N'EST DONC PAS DU POMPAGE.

C'est complètement vrai. Les auteurs n'ont pas pompé tout bêtement des solutions déjà exprimées dans des films. Ils ont compris de l'intérieur les qualités et les utilisations possibles du cinéma. Et ils ont essayé de les décalquer, en étant parfois très nettement précurseurs (notamment sur le coup des oranges/bleus). N'oublions pas qu'ils sont géniaux.

LAISSEZ MOI FINIR, MONSIEUR, JE NE VOUS AI PAS INTERROMPU : 2 - EN QUOI C'EST MAL, LE CINÉMA ? 

Le cinéma est linéaire.

C'est la grosse différence avec la bande dessinée.

Un film va toujours de l'avant, ne recule pas, n'avance pas en rapide, ne stoppe pas. On s'installe dans notre siège de salle de cinéma, on profite de la clim, et le film se déroule inéluctablement à la vitesse de 24 images par seconde.

Ce que ne fait pas la bande dessinée. Une bande dessinée se lit, s'interrompt, on revient en arrière voir si on a pas loupé un truc, on anticipe de trois pages pour voir s'il va s'en sortir, et de toute manière, on perçoit toujours deux pages entières en même temps. En tournant la page précédente, en visualisant la nouvelle page, on a une vision globale de ce qui va arriver au personnage.

Du coup, des tas de techniques cinématographiques perdent en impact en bande dessinée.

Quand un personnage a des flashs. Au cinéma, ça devient fun. 
Parce qu'on ne sait pas quelle sera la prochaine image.

En bande dessinée, l'effet est beaucoup moins fort, parce qu'on a déjà vu du coin de l'oeil ce mini flash qui va arriver. On n'a plus la surprise.


 Et, paradoxalement, les contrastes de couleurs, qui sont là pour accroître les contrastes entre les situations, ne font qu'accroître notre anticipation du changement de ton et notre non-surprise, notre non-perte de repères.

DE MÊME POUR UN ZOOM (AVANT OU ARRIÈRE).



Au cinéma, le temps file, le plan évolue, change, et ce changement exprime quelque chose. En bande dessinée, on perçoit les trois cases en même temps, elles sont répétitives et un peu bébêtes. C'est raté.

PAR CONTRE.

Quand il y a un petit coup de suspense de fin de page, et qu'on se retrouve paumé je sais pas où je sais pas quand je sais pas comment ; là, c'est sûr, la déstructuration et le zoom, ça marche.


On tourne la page. Et bim.


Là, ce qui donne le côté perdu, le côté déstructuré et sans repère, c'est la rupture de ton entre les deux pages (et pas dans la même page) et le très gros plan sur les lunettes qui rend le dessin difficilement identifiable (qui nous perd nous aussi).

Non mais parce que j'espère qu'on est d'accord : Tome, Janry, et Stuf sont des gros boss. Je trouve juste qu'ils ont utilisé de nouveaux outils mis au point spécialement pour ce récit avec un peu moins de maîtrise que d'habitude.

PAR EXEMPLE, LES COULEURS.

Elles sont très bien, ces couleurs, je l'ai déjà dit.

Seulement, elles sont un peu trop systématiques.

Trop de orange, trop de jaune, trop de bleu. Ce qui nivelle l'ensemble des personnages et n'en fait plus ressortir aucun.


Avant, le rouge de Spirou et le bleu de Fantasio étaient systématiquement utilisés pour les faire ressortir de décors aux couleurs différentes. Là, cet effet est complètement annulé.

D'ailleurs, dans l'aventure-qui-n'eut-jamais-de-fin suivante de Spirou et Fantasio (Zorglub à Cuba, un livre dont ils n'ont jamais fini que huit pages) on voit que Stuf a nettement corrigé le tir.

 Avec des peaux moins oranges et de petits attributs colorés (costume rouge et noeud-papillon rose, pour rester dans la gamme des couleurs orangées) qui sont là pour faire ressortir nos protagonistes préférés.

De même, les ambiances bleues se permettent un peu de vert et de rouge.

AU FINAL.

Ces trois auteurs avaient réussi à réfléchir suffisamment sur eux et leurs travaux pour se remettre en cause, remettre en cause leurs mécanismes et outils de travail, identifier, isoler, et dépouiller leurs buts et méthodes artistiques pour les pousser à la fois plus loin et dans un chemin de traverse.

Ce n'est pas donné à tous le monde.

CE N'ÉTAIT PAS RÉUSSI, ON EST D'ACCORD. MAIS CE N'ÉTAIT PAS RATÉ NON PLUS.

Simplement, les nouveaux outils mis en place auraient mérité un petit temps d'adaptation et deux ou trois albums de mise en jambe avant d'être complètement maîtrisés.

Comme Stuf a mis deux livres pour paramétrer ses couleurs et savoir exactement où il voulait aller ; comme Janry est passé de la plume au pinceau et a mis deux livres pour dompter complètement son nouvel outil ; comme Tome a mis plusieurs livres avant de se consacrer pleinement à l'écriture des scénarios en dégageant ses thèmes propres plutôt qu'en subissant ceux de ses prédécesseurs ; il aurait fallu laisser un peu de temps à nos petits génies pour qu'ils donnent leur pleine mesure dans cette nouvelle manière.

CE QUI A ÉTÉ RATÉ, FINALEMENT, C'EST LE COCHE.


10 commentaires:

  1. Y a eu de belles paroles comme quoi l'album non-fini de l'équipe Tome, Janry et Stuf serait proposé dans le cadre des one-shots "Le Spirou de...", mais n'y croyons pas. De toute façon, si c'est pour un seul album, en vaudrait-ce vraiment la peine ? (Je doute de la bonne construction interrogative de cette phrase interrogative.) Après tout, les expériences de ces trois gaillards s'encrent dans le cadre d'une série, dans un projet artistique (voulu ou non) qui se lit sur un ensemble d'ouvrages, et pas sur un unique tome, ou stuf. (J'en ris.)

    Le hasard fait de même que vous utilisâtes une image de l'adaptation cinématographique de Watchmen. Le hasard, car relisant le dit-comic il y a quelques jours, je me faisais la réflexion que ce que tentait de faire Janry, Stuf et Tome, c'était un peu ce qu'avait pu faire Watchmen. (Oui, j'essaye de voir des analogies partout.) Décor réaliste (New York en 1985, en plein guerre froide qui se réchauffe pas mal), dans lequel des aventures comiques parodiques (des gens "déguisés" en super-héros recherchent un tueur de masques, dans une uchronie dans laquelle Richard Nixon s'est fait réélire un peu trop de fois grâce à l'existence d'un schtroumpf géant qui peut voir des gluons piéger des quarks (ok, le délire comique est un peu moins présent, mais la parodie l'est pas mal) vont mettre en scène les qualités héroïques et référentielles (c'est des super-héros qui combattent le crime ordinaire, ça suffit pas ?) de nos personnages ayant des contraintes réelles (la loi Keene les considère comme des hors-la-loi, ils s'empattent un peu, ils ont pas le moral, ils tombent amoureux). Avec un dessin réaliste, et des couleurs qui sont là pour signifier, et pas simplement remplir.
    Bref, en 1986, quand Stuf, Tome et Janry reprennent la série (l'équipe enfin au complet) de Spirou et Fantasio et Spip (qui devient un vrai écureuil au fur et à mesure, parce qu'on a jamais vu un écureuil parler dans un Die Hard), c'est pour donner une impulsion de révolution dans cette série d'héros. Et quand Higgins, Moore et Gibbons font Watchmen la même année, c'est pour donner une impulsion de révolution dans les séries de super-héros.
    (À la différence notable que pour Spirou, c'est de nombreux volumes qui amènent à une prise de conscience, et que pour les Gardiens, c'est une conscience qui amène à un volume.)

    (Commentaire, Commentaire, sur le sable sur la neige, j'écris ton nom, sur toutes les pages lues, Commentaire. Parce que tu es trop long, Commentaire.)

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    1. Dans "Watchmen", il y a le vieux côté anard anglais de Moore qui resort bien. Dans "Machine qui rêve", il y a la formation en scénario de cinéma de Philippe Tome qui resort. Ce sont deux auteurs qui ont mis du leur dans leurs bouquins. (C'est comme ça qu'il faut faire, hein.) Je ne pense pas que quiquonque voulait faire la révolution. Ils voulaient aller au bout de leurs trucs, voilà tout. Bon, il se trouve que, pour Spirou, ça n'a rien donné, et que pour Watchmen, on s'est pris 25 ans de Dark Ages dans la gueule et qu'on se mange encore des films pourris à cause de ça, ok. Mais, à la base, je crois juste qu'ils voulaient faire de bon bouquins. A leurs sauces.

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  2. Désolée de casser l'ambiance mais je ne trouve pas ce dernier billet sur Tome, Janry et Stéphane de Becker à la hauteur des premiers (celui sur la couleur par exemple, très bien).

    Primo, vous reprochez le manque de subtilité de la palette si je vous comprend bien, cette opposition bleu/orange que vous trouvez systématique et la monotonie de la palette qui gene la lisibilité (vous dites ""Trop de orange, trop de jaune, trop de bleu. Ce qui nivelle l'ensemble des personnages et n'en fait plus ressortir aucun.""). Je trouve ça curieux que vous en veniez là après nous avoir parlé de l'évolution de la palette de Stuf...
    L'ambition de ce projet était radicale, il fallait une mise en couleur à la hauteur de ce challenge.
    En réduisant la palette, l'image devient beaucoup plus lisible. Franchement les seuls personnages qui se perdraient dans les camaieus des décors ce sont les figurants... les autres sont décollés du fond par un contraste assez violent (bleu, blanc, marron foncé).
    Ensuite, on gagne en style. Un détail, peut-être mais je trouve que c'est une belle réussite, qui complète bien l'encrage de Janry, plus en applats de noir qu'à l'habitude, avec bcp plus de recours à des contre-jours en "ombre chinoise", qui orientent à mon avis les options de couleurs.
    Enfin, on gagne en efficacité ce qu'on perdrait en subtilité, (vous l'avez noté vous même).
    Cette simplicité me parait assez adaptée au manichéisme de l'histoire (bien vs mal, orange vs bleu), ensuite elle est peut-être plus subtile que vous ne semblez le croire. Elle est presqu'un piège !
    Dans la séquence ou Spirou et Fantasio regardent un film, spirou est en rouge, fantastio en bleu. on est bien dans les repères habituels de la série. Quand spirou écoute la mission que lui confie Seccotine, idem. page suivante, soit disant pour les besoins du récit, spirou arbore un costume brun et une coupe de cheveux différents : forcément il est en pleine infiltration dans un labo. Mais en fait si on relit l'album, on sait qu'à cet instant ce Spirou n'est pas Spirou... mais une réplique androïde. Du coup cette absence de rouge dans sa tenue est un indice, subtil pour le coup, de ce faux semblant. Le glissement de point de vue (on passe de spirou à l'androïde sans s'en rendre compte...) est donc imperceptible à première lecture et passe dans la couleur (avec une palette pourtant réduite). JE trouve qu'avec cet album Stef est à son apogée : la couleur est au service du style, du récit, pensée, le superflu est dégagé.
    Qu'auriez-vous voulu à la place ? plus de nuances dans les arrières plans ? franchement je ne crois pas que ça aurait apporté quoique ce soit, au contraire. En resserant la palettes, les couleurs sont plus expressives, ce qui me semble adapté à un récit encore une fois, pas loin d'etre expressionniste.

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    1. "En réduisant la palette, l'image devient beaucoup plus lisible"

      Je ne pense pas du tout. Tous les personnages se retrouvent sur le même plan. Ils n'y a plus de couleurs différentes pour démarquer les différents objets d'une même image. Stuf a du croire qu'il s'en sortirai grâce à sa maîtrise des camaïeux, mais, pour moi, ça ne marche pas.

      "Cette simplicité me parait assez adaptée au manichéisme de l'histoire"

      C'est bien le problème. Pour moi, le manichéisme n'est pas une qualité.

      "plus de nuances dans les arrières plans ? franchement je ne crois pas que ça aurait apporté quoique ce soit, au contraire"

      Cela aurait apporté moins de manichéisme, justement.

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  3. Deuxio vous dites :
    "En partant sur Machine qui rêve, le but des auteurs était de freiner sur les exagérations et donner un tour plus réaliste aux actions représentées. Pour cela, les auteurs se sont naturellement inspirés d'un art plus réaliste (avec des vrais gens dedans) (même s'ils sautent d'un immeuble de cinquante étages accrochés à un tuyau d'incendie ou qu'ils se tapent contre des robots géants venus de la Lune) : le cinéma."

    Il me semble pourtant que Tome & janry ont toujours lorgné vers le cinéma, ce n'est pas un fait nouveau. c'est ce qui marque le plus leur "règne" qui donne sa modernité à leurs albums entre autres (avec des références directes à l'époque, et le second degré, l'ironie). Si il y a bien une rupture avec cet album, les inspirations cinématographiques sont omniprésentes dans les autres albums, notamment pour les ambiances. Je vous accorde qu'avec celui-ci ils se sont autorisés des empreints à la grammaire du cinéma -voir lâchés complètement - (plan qui dure, zoom, découpage cinémascopesque, silences...). mais je ne vois pas de réalisme dans cette affaire... à mon avis ce n'est pas le réalisme présupposément inhérent au cinoche qui les préoccupe mais de restituer une histoire de genre avec les codes qui lui correspondent, de restituer une ambiance qui corresponde à la tonalité du récit. On retrouve plutot les ingrédients d'un récit manipulateur (tout le projet du livre est là : une manipulation : spirou manipulé par seccotine / un androïde manipulé par ses créateurs et "sa" mémoire / le lecteur manipulé par ses auteurs : car Spirou et fantasio - les vrais- sont finalement presqu'absents de l'aventure enfin de compte, quand Spirou réapparait, il ne repprend même pas vraiment la main sur les événements...).
    Donc le cinéma, oui, mais de genre. Sinon autant dire que cet album doit beaucoup à la littérature... ou à la bande dessinée tant qu'à faire (je peux être mesquin, voui.).
    Ensuite, vous citez quelques exemples de films dans votre billet que je crois peu adaptés, j'en suis désolé.
    S'il y a un film à citer, c'est "Bienvenue à Gattaca" : le film sort en 97 et Machine qui rêve en 98. Pour moi il n'y a pas de hasard dans cette affaire (mais c'est un avis personnel).
    Déjà par les choix de couleurs, les cadrages, les décors. ça ne vous dit rien ? hop : http://www.devildead.com/gattaca/gattaca01.jpg
    http://www.centreimages.fr/FARD/wp-content/uploads/2011/05/GattacaJaune1.jpg
    http://s.tf1.fr/mmdia/i/47/7/3934477ciddc.jpg?v=1
    http://image.noelshack.com/fichiers/2014/06/1391532805-gattaca-1.gif
    http://www.devildead.com/gattaca/gattaca12.jpg
    http://static.programme.tv/media/cache/relative_max_355x272/upload/epgs/2013/01/bienvenue-a-gattaca_7126_2.jpg

    Mais aussi par le sujet : à cette époque on était en pleine résurgence du questionnement "K.dickien" sur la réalité au cinéma (et ailleurs) et l'identité trompeuse, la manipulation, les clones : gattaca (97), Dark city (98) Existenz (99), matrix (99) mémento (2000) pour ne citer que les blockbusters... Pour mettre les ambitions des auteurs en perspective. on doit pouvoir trouver des exemples antérieurs à Gattaca et à l'album au cinéma qui inscriraient "machine qui rêve" dans son contexte...(j'ai un peu la flemme).

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    1. "mais je ne vois pas de réalisme dans cette affaire"

      J'ai du mal m'exprimer. Pour moi, dans cet album, le dessin est plus réaliste, les poses sont plus réalistes, ce qui restreint la palette des auteurs. Du coup, ils ont du se dire : "voyons comment fait le cinéma pour rendre expressive une scène sans que les jambes et bras des protagonistes ne paraissent être en caoutchouc".

      "de restituer une histoire de genre"

      Je ne pense pas que ce soit le cas. Un genre n'appartient pas à un art (ou un média). il y a des polar en théâtre, romans, bandes dessinées, films. Ils n'ont pas emprunté un genre à un autre art. Ce genre existait déjà en bande dessinée. Ils ont emprunté une grammaire.

      "à cette époque on était en pleine résurgence du questionnement "K.dickien""

      Et les auteurs ont précédé tout ce beau monde en anticipant cette mode. C'est tout à leur honneur.

      SPOILERS.

      Ce qui est moins finaud, c'est de griller le sujet du bouquin dès le titre. Pour moi, ça a fait schboum là-dedans : "Machine qui rêve" -> "les androïdes rêvent-ils de moutons électriques" -> Blade Runner -> androïdes. Du coup, le twist était moyennement twistant.

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  4. Enfin, sur le cinéma toujours, vous parlez des effets "ratés" cinématographiques dans l'album. C'est curieusement ce que je trouve le plus spectaculaire dans cet album de rupture. On sent que les auteurs vont plus franchement vers ce qu'ils avaient distillés chichement jusque là : des mises en page plus radicales, des points de vues plus dynamiques... (la grande gagnante c'est l'ambiance qui ressort de l'album, on ressent l'environnement bien plus que dans les autres albums. un environnement assez épuré, froid, quasi clinique. on est loin de champignac...)
    Donc ratés je veux bien l'entendre, mais sur les arguments je vous ai trouvé fort peu convaincant, navré :
    la prévisibilité dont vous parlez... est inhérente à la bd, à moins de faire une image par page, je ne vois pas comment y couper. Surtout, je ne vois pas en quoi le manque de surprise, lié au "flash" de l'oeil qui découvre la page, des que la page est tournée casserait la fluidité du récit. je ne sais pas vous, mais si je suis pris par un récit, je ne suis pas géné par ce phénomène, je suis plûtot pris. il n'y a qu'à seconde ou Xème lecture, quand l'histoire m'aient bien connu, que je puisse être "happé" par l'envie d'apréhender d'abord la page dans son ensemble avant de focaliser mon regard sur la case à suivre. par exemples j'ai trouvé les scènes d'action d'Akira bien plus réussies et "cinématographiques" que son adaptation en film. Le rythm y est bien meilleur. un comble ? à moins de considerer que ces effets de découpages ne sont pas si propre au cinéma... mais partagé par la bd. qui hérite de qui ? débat hardu à mon avis !
    Personnellement, et ça n'engage que moi, j'ai trouvé que les "travellings découpés" (sur les lunettes, sur le visage comme vous les avez relevé) dans l'album sont assez spectaculaire, il s'en dégage un "étirement temporel", on s'arrête un instant, on freeze le flux du récit (plutôt rapide) pour un moment contemplatif qui renforce l'empathie pour ce personnage qu'on croit être spirou, qui n'a pas de prise sur ce qui lui arrive. Sans ces moments, sans ces gros plans expressifs, je ne crois pas qu'on arriverait à tellement à éprouver grand chose pour le personnage...
    (Tiens, il faudrait comparer Le "spirou" de Machine qui reve à celui de la vallé des bannis, car il me semble qu'avec des codes différents, on arrive aux mêmes résultats. bref)

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    1. "la grande gagnante c'est l'ambiance qui ressort de l'album, on ressent l'environnement bien plus que dans les autres albums. un environnement assez épuré, froid, quasi clinique"

      C'est justement le soucis pour moi : trop froid, pas assez d'implications envers le personnage principal. les mécaniques de cinéma plaquées dans une bande dessinée restent... ma foi... restent mécaniques. Encore une fois, je trouve cela beaucoup moins subtil que dans les livres précédents.

      (J'ai relu 150 fois les passages de "la vallée des bannis" dans lesquels Spirou serre la main de Fantasio. L'effet est beaucoup moins fort quand Secotine prend la main de Spirou dans "machine qui rêve". Et, selon moi, parce que la scène est moins bien amenée, parce que la grammaire est moins bien maîtrisée.)

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  5. Pour finir, à titre personnel encore, je ne trouve pas qu'il aurait fallu d'autres albums pour ce "spirou" nouvelle manière... Pour moi c'est un album de rupture : les auteurs envoient valser la série, cèdent à une tentation radicale qui fait de cet album un hors-série dans la série (franchement on a du mal à croire que c'est une aventure de S&F, d'ailleurs ça n'en est pas vraiment une, bref). Ils signifient dans ce "one shot" leur envie de nouveau, leur lassitude peut-être ? Font entrer Spirou dans une autre dimension : la gravité : quasiment aucun humour dans l'album. Cette gravité est une impasse, elle sied mal à la série et à ses auteurs en réalité tant elle lui ait contraire il me semble.
    Je trouve l'album intéressant, je l'aime bien mais je ne le range pas dans la série. c'est un "spirou par..." avant l'heure. J'y vois presque un anti-spirou. Pour moi c'était un point de non retour, comment revenir à un spirou tradditionnel après ça ? les pages de spirou à cuba semblent attester de cette difficulté. on dirait un mix entre Luna fatale et MAchine qui reve, bancal. Fantasio arbore un gros nez de nouveau, sur un visage plutot semi-réaliste... l'humour semble de retour dans les répliques, on convoque une icone (Zorglub) de la série pour rassurer le lectorat qu'on devine un peu secoué par le séisme "machine qui reve"... la petite fille qui court, ressemble bien trop aux personnages du petit spirou... on dirait qu'après "machine qui reve", on assiste à "machine arrière", comme si conscient d'y être allé un peu fort, les auteurs allaient maintenant diluer tout ça dans un album plus conforme aux attentes, plus rassurant. Bref, bien peu excitant finalement, après une telle secousse.
    Donc belle impasse que ce machine qui reve. Je trouve chouette que les auteurs aient pu le mener jusqu'au bout cela dit, car c'est intéressant de voir qu'ils se posaient des questions, souhaitaient évoluer, se remettre en question.
    il était temps de passer la main. Je regrette que depuis, ils ne concentrent plus que sur le petit spirou, qui était amusant le temps de deux albums et qui est lamentable à tout point de vue depuis... j'aurai aimé les voir faire qqs one shot ou une nouvelle série en dehors de Spirou sur les jallons de Machine qui reve, mais peut-être que Soda les gênaient ?

    Merci, cher zouave, et navré de ruer dans les brancards.
    Anne O'Nime

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    1. On en arrive au limite de la série : est-ce que c'est mieux de protéger l'intégrité d'une série et de dégager les auteurs quand ils dévient trop de la ligne éditoriale fixée, ou est-ce que c'est mieux de préserver les auteurs et de leur laisser carte blanche sur la série ?

      C'est compliqué comme question, mais, quand même, moi, je préfère quand on laisse les auteurs faire ce qu'ils veulent.

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