vendredi 19 juin 2015

La bande dessinée fait de l'autobiographie de quotidien d'auteur de bande dessinée autobiographique.

David De Thuin nous montre comment faire de l'autobiographie sans trop se plaindre.

David De Thuin, Interne - numéro 1, auto-édition.

David De Thuin centre son travail autobiographique sur son travail pas autobiographique.

Il montre des moments de sa vie qui gravitent autour de son travail. Ou des bouts de son travail. Ou des bouts d'études pour son travail. Ou des bouts de sa vie de famille (quand même).

POURQUOI DES BOUTS ?

C'est que, le plus dur, dans l'autobiographie, c'est de ne pas construire de personnages, de ne pas faire de récit.

Il nous arrive des trucs. Super. Et ensuite on les raconte. Très bien. Mais comment ne pas déformer, enjoliver, trahir les faits et les personnes décrits ? Comment ne pas reformuler certains faits pour les rendre plus percutants et les transformer en récit ? Comment ne pas représenter qu'une partie d'une personne et le transformer en simple personnage ?

PUNAISE, ÇA A PAS L'AIR SIMPLE DE RÉPONDRE À CETTE QUESTION.

Florence Dupré la Tour se débrouille en mêlant explicitement faits et fictions dans un gros gloubiboulga à la fois hyper crédible et explicitement fictif.

Fabrice Neaud bin, euh... Comment dirais-je... Fabrice Neaud n'arrive pas toujours à trouver les outils adéquats subséquents à l'écueil d'une transmission forcément partielle de certains faits. (On va dire ça comme ça, pour ne vexer personne.) Et du coup il paraît parfois se la péter un peu dans son récit. (On va dire ça comme ça, pour être un peu plus clair.)

David De Thuin, lui, il fait des bouts.

Là, par exemple, paf, au débotté, un bout de carnet avec des bouts de dessins dedans (ce sont des bouts dans des bouts) (une inception de bouts).

IL Y A LES BOUTS OBJECTIFS ET LES BOUTS SUBJECTIFS.

Les bouts objectifs, se sont des croquis, des cases retranchées, des essais, des commencements de récits abandonnés, des dessins préparatoires, des récits courts fait comme ça, pour passer le temps, des dessins isolés, des photographies ou des dessins d'enfants. Tout ça.

Encore plus criant de vérité qu'une photographie de Robert Capa durant la guerre de 36 : une photographie de doudou.

POURQUOI « OBJECTIF » ?

Parce que ce sont des bouts qui ne sont pas faits à la base pour être autobiographiques. C'est du travail. Des essais. Qui représentent objectivement des préoccupations ou des envies professionnelles au moment de leur réalisation. rien d'autre. Il n'y a pas l'intention d'en tirer une analyse, une morale, un récit, quoi que ce soit.

Ce n'était pas fait pour former un tout, pourtant, en mettant tout ces éléments les uns à côté des autres, ils entrent en résonance et tracent, en creux, un portrait (au moins professionnel) de David De Thuin. Sans affect. Sans intention. Un portrait pur. Objectif.

David De Thuin n'aime pas quand ça tourne autour du pot. Il préfère quand ça paraît direct.

POURQUOI « SUBJECTIF » ?

Parce que, entre ces éléments objectifs, se glissent des strips, des pages, ou de courts récits autobiographiques de l'auteur.

PREMIER ASPECT : LE BOULOT.

Ces récits courts sont tout d'abord utilisés pour représenter certaines préoccupations professionnelles (rien que de très normal, après tout, quand il s'agit de réaliser un recueil de bouts de travaux professionnels) ou pour contextualiser certains de ces travaux (expliquer pourquoi ils ont été faits, comment ils ont été retrouvés, etc) (normal encore, cela permet de mieux comprendre le pourquoi et le comment de la présence de ces bouts dans le recueil).

Une préoccupation professionnelle partagée par beaucoup : Macherot.

Un petit bout de bande dessinée autobiographique pour contextualiser un extrait de bande dessinée autobiographique.

Mais, du coup, j'espère qu'on est d'accord pour dire qu'on y perd côté objectivité. Ces nouveaux récits courts sont là avec une intention, une volonté, celle d'organiser le bordel entre les différents autres bouts. Il y a message, il y a auteur, il y a subjectivité.

En tous les cas, c'est à ce moment que David De Thuin fait appel à sa famille, qui tourne autour de sa table à dessin.

DEUXIÈME ASPECT : ÇA DÉBORDE UN PEU.

Et, là, je sais pas du tout si l'intention première de l'auteur était de faire de l'autobiographie avec ses enfants et que ça a ripé en y joignant des bouts de travaux ou si, en voulant joindre des bouts de travaux, ça a ripé vers l'autobiographie de sa vie de famille, mais le fait est là : ça a ripé. Et ça ripe de plus en plus dans le bouquin, les bouts de travaux objectifs se raréfiant au profit des histoires autobiographiques impliquant sa famille.

Là encore, c'est cohérent, pas de soucis. Ça permet de montrer le travail de l'auteur dans sa réalité quotidienne, quand les enfants viennent vous courir dans les pattes alors que vous galérez sur votre perspective cavalière avec 25 personnages, trois tanks, et un zébu. Ok, ça reste professionnel. Des petits bouts de vie d'auteur dans des petits bouts de réalisation de l'auteur. C'est un peu subjectif, quand même, hein (puisque message, intentionnalité, auteur, personnes devenant des personnages, tout ça tout ça).



Les enfants ont des goûts de merde, c'est bien connu. Pourquoi on s'entête à le leur cacher ?

TROISIÈME ASPECT : ÇA DÉBORDE BEAUCOUP, EN RESTANT DANS LES CLOUS.

David De Thuin organisait des extraits de ses différents travaux mis bout à bout, il se met à organiser des petits bouts de ses différents travaux ET des extraits de sa vie de famille mis bout à bout. Ce n'est guère différent.

Il conserve du même coup cette impression d'objectivité qu'avait au départ son travail de compilation des différents extraits de son travail. Les bouts objectifs restent objectifs ; les bouts subjectifs (familiaux) se teintent d'objectivité. « Écoutez, ça m'est arrivé, c'est vrai, mais ce n'est pas ma faute, ce sont mes enfants, moi, je ne fait que conserver leurs réflexions, leurs actions au moment où ça arrive, je n'organise rien. » On a moins l'impression d'une volonté de l'auteur de montrer quelque chose, d'organiser un récit. Cela semble plus naturel, plus vrai, plus réel.

Toujours avec les petits extraits au-dessus, pour faire extrait de bout de tranche de vie, justement.

LA BANDE DESSINÉE EST LA PLUS FORTE.

Au final, l'effet général de liberté et de vérité (rien ne semble calculé, les bouts de vie arrivent quand ils arrivent, les extraits du travail de l'auteur sont là parce qu'il vient de les retrouver dans une vielle boîte à chapeau) existe à cause de l'aspect fragmentaire de l'ensemble du livre.

Un aspect fragmentaire rendu visible par l'hétérogénéité des matériaux (extraits, brouillons, dessins d'enfant, photographies, etc.). Mais, surtout, un aspect fragmentaire rendu possible grâce à la bande dessinée.

COMME D'HAB', QUOI.

Je me répète comme un petit vieux mais, pour moi, la bande dessinée, ce sont deux dessins mis l'un à côté de l'autre.

Eh bien, pour David De Thuin, la bande dessinée, ce sont deux extraits mis l'un à côté de l'autre. Ce peut être des extraits de ses travaux, ou des extraits de sa vie familiale. En tout cas, ce sont des extraits de tout ce qui fait sa vie quotidienne.

De la bande dessinée malgré tout (d'avant-garde, ceci dit, je vous le concède).

PAS COMME D'HAB'.

La différence, c'est que, là, les différents extraits mis les uns à côtés des autres, le sont pour créer une impression d'hétérogénéité. David De Thuin n'organise pas une suite logique pour rendre le développement d'un récit intelligible même pour le plus débile d'entre nous (c'est à dire moi), il organise une suite d'extraits pour donner l'impression d'un rangement au pif de travaux retrouvés par hasard et d'extrait de sa vie qu'il ne contrôle pas.

Il organise des ruptures de ton, des ruptures de styles, des ruptures de nature entre les différents bouts de telle manière que le lecteur ait l'impression lui aussi d'être soumis à ce hasard.

LIBERTÉ CHÉRIE, J’ÉCRIS TON NOM SUR LES NUAGES DE MA VIE. (JACQUES PREVERT) (AU MOINS).


Chacun sa conception de la liberté.

Au final,  c'est cette liberté que recherche David De Thuin (pas pour rien que c'est auto-édité, cette histoire), et c'est cette liberté que le lecteur ressent (« Ce sont des histoires et des extraits de mon travail posés un peu en vrac, faites-en ce que vous voulez. »)

Des histoires, mais sans être obligé de construire toute une thématique ou un arc narratif pour faire tenir les différents bouts ensemble.

Des dessins, mais sans même se faire suer à les inclure dans une histoire.

Et pourquoi pas des photographies, si on veut ?

Et pourquoi pas faire tout ce qu'on veut ?

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