Franquin et Greg et Jidéhem, QRN sur Bretzelburg, Dupuis.
FRANQUIN, CE HÉROS.
Franquin a évolué dans son dessin du début à la fin de sa carrière.
Ce n'est pas si courant que ça. Une grande partie des dessinateurs (et notamment des dessinateurs de bande dessinée) essayent 1° - de trouver un style dans lequel ils se sentent bien ; 2° - de pousser ce style à ce qu'ils jugent son meilleur.
Dans cette catégorie, on peut citer Hergé, qui (une fois qu'il a défini et compris son style) a carrément fondé un studio pour le pousser au max de ses possibilités, et a même redessiné certains de ses premiers albums dans ce fameux style mieux-maintenant-que-j'ai-compris-ce-que-je-voulais-faire.
Les version de 1934 et 1955 de Tintin - Les cigares du pharaon (de Hergé et son studio, donc).
On peut également citer Morris qui, sur la fin de sa carrière, faisait carrément des photocopies de certains de ses dessins pour les refoutre ailleurs dans l'album.
À ce niveau, ça devient presque un concept d'art moderne.
(Tiré de La légende de l'ouest, le dernier album dessiné par Morris, sur un scénario de Patrick Nordmann.)
C'est simplement que le but artistique de Morris était d'arriver a un type de dessin précis, et, une fois réussi ce dessin jugé « parfait », pourquoi s'embêter à le redessiner cinquante fois dans un même livre ? Autant le garder tel quel, puisqu'on ne pourra pas faire mieux. C'est un point de vu qui se défend. Le second point de vue étant que, en fin de carrière, Morris sucrait les fraises avec le dos de la cuillère.
MAIS FRANQUIN, LUI, EST LOIN DE TOUTES CES CONSIDÉRATIONS.
En partie à cause d'une insatisfaction maladive, en partie parce que c'est un des plus grands artistes du XX° siècle, Franquin a fait évoluer son trait, sa patte, son style, son dessin, tout au long de sa vie.
Il a également fait évoluer son encrage.
Pour ceux qui ne savent pas de quoi on parle, la dernière planche de Gaston Lagaffe, permet de faire la différence entre :
- le crayonné (dessin au crayon permettant de recommencer dix mille fois avant d'être satisfait),
- l'encrage (repasser le dessin crayonné avec de l'encre pour « fixer » le dessin),
- et la mise en couleur (remplir le dessin encré et donc en noir et blanc des couleurs que l'on veut.
Maintenant que l'on sait ce qu'est l'encrage, la question qu'il nous reste à élucider est : comment encrer ?
PLUME OU PINCEAU ?
Loin de moi l'idée de dire que les deux techniques s'excluent totalement et que ce qui est réalisable au pinceau ne l'est pas à la plume, et inversement.
La preuve en est que, pour ce billet, j'ai essayé de différencier les encrages de Gaston Lagaffe fait avec l'une ou l'autre de ses techniques et que je me suis galéré ma race. Donc. Bon. Hein. Les différences de rendu ne sont pas forcement évidentes.
NONOBSTANT.
Citons le maître :
Avantage de la plume :
Je trouve le dessin à la plume plus nerveux.
La Sommerville est une plume dure, résistante. Il faut appuyer très fort au début et puis elle s'use, elle se rode, et elle devient très douce...Désavantage de la plume :
Tellement nerveux que le jour où je me suis remis au pinceau, ça m'a fait un bien énorme. Je me suis assagi !Avantage du pinceau :
Le pinceau ne donne pas nécessairement un trait mou : il donne surtout un trait bien délié, souple. Et quand on a dépassé le stade des premières difficultés, c'est un outil très aisé à manier.Désavantage du pinceau :
Le pinceau est plus difficile, je crois. Au début du moins. On travaille avec un outil plus fuyant que la plume. Mais il faut aller au-delà de ce stade un peu pénible pour découvrir les grandes possibilités du pinceau dans le trait. On pourrait penser que le pinceau donne forcément un trait peu précis, lourd.
Pour Gaston Lagaffe, j'ai commencé au pinceau ; cela se voit un peu, car le dessin est plus lourd.Mais quand même, le pinceau :
Il existe de très bons pinceaux dont les soies ont du ressort. Finalement, le pinceau donne un style différent, un trait plus souple.Mais quand même, la plume :
Quoique, maintenant, il existe aussi toutes sortes de plumes. Il y en a, par exemple, qui imitent admirablement le pinceau.
Les personnages de Bueberry - Nez cassé auraient-ils des cheveux si fougueusement soyeux sans le pinceaux de Jean Giraud ?
Le débat reste ouvert !
ENFIN, SI JE DIS « LE DÉBAT RESTE OUVERT », C'EST POUR FAIRE LE MEC AU-DESSUS DE LA MÊLÉE, MAIS JE N'EN PENSE PAS MOINS.
Parce que, en fait, dans la carrière de Franquin, le changement de technique (passage de la plume au pinceau) a eu lieu quand, justement, il a cherché à rendre son dessin et ses histoires plus soyeux (je re-cite : « le jour où je me suis remis au pinceau, ça m'a fait un bien énorme. Je me suis assagi. »).
VOYONS POURQUOI. VOYONS COMMENT.
- 1955 : Spirou et Fantasio : le repère de la murène.
À ce moment, Franquin s'est approprié les deux héros qu'il n'a pas créés mais dont il développe considérablement l'univers. En parallèle, il cherche à améliorer son dessin (à l'affermir, le rendre plus précis) et sa manière de raconter des histoires (il essaye de mettre plus de rythme, de rapidité, de ruptures de ton (du coup, Fantasio s'énerve tout le temps)).
Pour ces deux buts, la plume semble être le bon outil. Elle permet de réaliser des dessins précis, fins, nerveux (le côté un peu rigide), aussi nerveux que Fantasio.
- 1957 : Spirou et Fantasio : le nid des marsupilamis.
Cette volonté de précision l'amène à commencer à travailler « en studio » (c'est à dire avec des aides) (des petits gars qui-n'en-veulent et qui deviendront éventuellement des auteurs indépendants par la suite) (notamment Jidéhem, qui lui fait de très beaux décors et voitures, et deviendra ensuite l'auteur de Starter et Sophie).
Si on compare le repère de la murène au nid du marsupilami, on voit tout de suite que les décors et les accessoires ont augmentés (on a droit à des voitures, des sièges, des murs, portes, maison dans la nuit, alors qu'avant on avait de simples buissons faits en 4 secondes chrono).
La volonté de précision qui s'était d'abord réalisée dans le dessin des personnages s'est développée ensuite dans le reste de l'image.
D'autre part, les personnage gagnent encore en subtilité : les plans sont plus rapprochés, les visages sont plus gros, on peut mieux y lire leurs sentiments. Si, dans la dernière case de l'extrait du repère de la murène, on savait que Spirou était amusé, dans l'avant dernière case de l'extrait du nid du marsupilami, on arrive à voir qu'il est amusé, un peu compréhensif, et qu'il se retient de rire. Subtilité, donc. La précision du dessin ne s'étend pas simplement aux décors, mais aux sentiments décrits chez les personnages.
- 1957 : Gaston Lagaffe.
C'est à ce moment que Franquin se trouve suffisamment armé pour créer un personnage comme celui de Gaston. Un personnage qui (au départ) fonctionne comme un clown blanc, lymphatique et sans expressions, alors que Fantasio gesticule autour de lui en hululant.
Dans le gag ci-dessus, ce sont la précision dans la description des réactions de Fantasio, la subtile gradation dans la montée de sa colère, et la rupture de ton en dernière case qui font le gag. C'est un crescendo qui explose en dernière case.
La nervosité du personnage, du trait et du découpage (la rupture de ton à la dernière case) se rejoignent et se justifient.
Mais Franquin a mis le doigt dans un engrenage qui va l'emmener loin (Fantasio en colère, ça va bien cinq minutes, il va falloir qu'il fasse varier subtilement cette colère pour ne pas lasser). Cette précision qu'il recherche dans la description des émotions des personnages le conduit justement à se rapprocher de ceux-ci.
Le plus important pour lui ne devient plus de d'écrire une histoire mais de décrire des caractères.
La nervosité du personnage, du trait et du découpage (la rupture de ton à la dernière case) se rejoignent et se justifient.
Mais Franquin a mis le doigt dans un engrenage qui va l'emmener loin (Fantasio en colère, ça va bien cinq minutes, il va falloir qu'il fasse varier subtilement cette colère pour ne pas lasser). Cette précision qu'il recherche dans la description des émotions des personnages le conduit justement à se rapprocher de ceux-ci.
Le plus important pour lui ne devient plus de d'écrire une histoire mais de décrire des caractères.
- 1961 : Spirou et Fantasio : QRN sur Bretzelburg. (Franquin commence une nouvelle aventure de Spirou et Fantasio, puis coule une bielle et laisse tomber les héros pendant plus d'un an.)
De fait, ici, la nervosité du récit n'est plus très utile. Au contraire, on n'est pas obliger d'enchaîner les péripéties, mais on peut rester avec un perso, à simplement s'intéresser à lui (Fantasio ne crie plus, il pense, et on observe durant toute une planche ses réactions et ses inquiétudes face à son tortionaire). Moins d'histoire tac-tac-boum-boum, plus d'intériorité.
- 1962 : Gaston Lagaffe. (Pendant l'arrêt de Spirou (grosso modo, durant l'année 62), Franquin continue de livrer métronomiquement des gags de Gaston Lagaffe.)
Dans cette bande, Gaston a gagné en expressivité et en intériorité. L'histoire de ce gag ? Gaston pense, gaston rêve, et on observe tout ça. Pas plus. Ah, si, un petit jeu de mot pourri à la fin.
Le sujet des bande dessinées de Franquin devient l'humanité de ses personnages. Du coup, la nervosité du trait (qui rend leurs attitudes précises mais univoques, trop systématiquement rigides et nerveuses) devient superflue.
Franquin va alors essayer d'assouplir son trait pour nuancer les sentiments qui parcourent ses personnages.
Des nuances qui apparaissent quand on compare la dernière planche de QRN réalisée en 1961 et la première réalisée en 1963.
DES NUANCES QUI APPARAÎTRONT LA SEMAINE PROCHAINE.
DES NUANCES QUI APPARAÎTRONT LA SEMAINE PROCHAINE.