jeudi 30 janvier 2014

La bande dessinée est la plus géniale de tout l'univers, avec un vrai tigre et pas d'ourson

Bill Watterson s'entête ! Ça va ! On a compris que vous étiez le plus fort ! Il va falloir nous laisser, Monsieur !

(Alors, attention, c'est super long. Mais, en même temps, je pouvais quand même pas faire quinze billets sur la même BD.)

Bill Watterson, Calvin &Hobbes, Universal Press Syndicate (?) & Les éditions du Lézard.
(Ça, au mois, ça change pas. C'est important d'avoir des repères, dans la vie.)

REVENONS A NOS MOUTONS...

Je disais la semaine dernière que (selon moi, hein...) le coeur de Calvin & Hobbes réside dans la question : « Est-ce que Hobbes est un tigre en peluche issu de l'imagination de Calvin et de l'auteur ? ». 

(Une question que tout le monde s'est au moins posé une fois en lisant Calvin & Hobbes.


(Enfin... J'espère. Sinon toute la chronique tombe à l'eau.)

D'AILLEURS, WATTERSON LUI-MÊME NE TRANCHE PAS :


« Hobbes est un jouet en peluche dans une case et vivant dans la suivante, je juxtapose la vision adulte de la réalité avec celle de Calvin, et j'invite le lecteur à décider laquelle lui semble la plus vraie. »


QUOIQUE...

« Mais la BD n'affirme rien. C'est l'hypothèse que font les adultes parce que personne ne voit Hobbes de la même manière que Calvin. Certains journalistes qui écrivaient des articles sur les amis imaginaires m'ont demandé un commentaire à ce sujet ; et je m'y suis toujours refusé, parce que je ne connais absolument rien aux amis imaginaires. Il me semble que, si vous vous inventiez un ami, vous feriez en sorte qu'il soit toujours d'accord avec vous, et pas qu'il vous dispute sans arrêt. Je soupçonne donc Hobbes d'être bien plus réel que n'importe quel enfant pourrait en rêver. »

C'EST CE QUI S’APPELLE ENTRETENIR LE DOUTE, DITES-DONC.


Parce que, au final, c'est la question en elle-même qui forme le coeur de cette bande dessinée. Pas la réponse.


ÇA Y EST. JE LE SAVAIS. IL SE DÉFILE. IL NE VA PAS RÉPONDRE.

Ah non mais si si, je vais essayer de répondre. 

Mais je vais aussi essayer d'expliquer pourquoi cette réponse n'a aucune importance.

AH ÇA M'A L'AIR ENCORE SIMPLE, CETTE HISTOIRE !


Le problème de Calvin & Hobbes est de savoir de quel point de vue on se place. Est-ce qu'on est dans la tête de Calvin (Hobbes est une peluche) ? Est-ce qu'on est dans la tête de Hobbes (Hobbes n'est pas une peluche) ? Est-ce qu'on est dans la tête de Watterson (Hobbes est ce que Watterson veut bien qu'il soit) ?





Le mystère de la peluche à rayures.

ET POUR RÉPONDRE A CETTE QUESTION : UN PETIT COURS BIEN CHIANT.


On sépare en général les points de vue en trois catégories :


La focalisation zéro. Exemple : « Je suis Dieu et je sais tout sur tout. En particulier ce que tu as fait hier soir dans ta chambre. Et ça me fait beaucoup de peine. Notamment pour ce pauvre hamster qui n'avait pas l'air bien consentant. Ça me désole encore plus de savoir ce que tu feras dans le futur de ces DVD d'Hamtaro que tu viens de commander. Oui ! Je sais tout ! »


La focalisation interne. Exemple : « Je suis un journaliste économique et (saloperie de nantis de chômeurs) vous ne percevrez le monde (saloperie de nantis de fonctionnaires) qu'au travers (réforme structurelle) de ce que je pense (saloperies de nantis de français) et de ce que je vois (Pujadas, tu es beau), rien d'autre (pauvre entrepreneurs exsangues). »


La focalisation externe. Exemple : « Je suis un simple spectateur du quotidien qui ne connaît ni les pensées de ce quidam marchant en pâlissant avec un cadavre de cochon d'Inde dans les mains, ni celui de ce particulier tout rouge qui déchire un exemplaire de l'Huma en criant que la France n'est rien sans les chefs d'entreprises. Je ne me réfère qu'aux faits. »


ET LÀ !


Sous vos yeux ébahis (et beaux) (et soyeux), je fonde une quatrième catégorie :


LA FOCALISATION MULTIPLE.


Qui consiste à naviguer entre les points de vues, à passer de l'un à l'autre à un troisième, comme ça, quand ça nous chante, parce que c'est plus pratique. ET A NE SURTOUT PAS UTILISER LA FOCALISATION ZÉRO (on est avec les persos, pas au-dessus d'eux). 


C'est ainsi que Watterson se rapproche toujours plus de ses personnages... Quels qu'ils soient.

Parfois, il fait de la focalisation externe (les faits, rien que les faits).

Quand Watterson parle de la guerre, c'est sérieux, c'est carré, c'est focalisation externe, ce sont des faits : 
la guerre, c'est débile.

Parfois, il fait de la focalisation interne (uniquement dans la tête d'un personnage).

Rien ne vient à l'encontre des idées de Calvin : 
c'est définitivement trop mauvais pour qu'il s'imagine une autre manière de cuisiner cette nourriture.

Parfois, il alterne plusieurs focalisations internes (un coup Calvin, un coup Hobbes, un coup les parents).

Point de vue de Calvin ensuqué, puis point de vue de Hobbes-le-meilleur-chasseur-du-monde, 
puis point de vue de Hobbes-terrorisant-sa-proie, puis point de vue bienveillant des parents.

Parfois, il fait de la focalisation interne qui se finit en focalisation externe.

A moins que ce soit de la focalisation externe qui se finisse en focalisation interne ?

 Une scène du point de vue de Calvin, ballotté et malmené tel qu'il le ressent.

Une scène d'un point de vue externe, objectif, telle qu'est vraiment la situation.

Et que dire quand deux focalisations cohabitent dans la même case ?

Ici, les points de vue de Susie ET Calvin se côtoient sans se contredire. 
C'est normal. Ce sont deux enfants. Ils sont sur la même longueur d'onde.

Là, tout de suite, là, juste sur cette case, impossible de savoir si c'est Calvin qui fait son cirque (point de vue de Susie) 
ou si c'est le sandwich vivant qui attaque (point de vue de Calvin). Non ?

VOUS AUSSI, VOUS AVEZ MAL A LA TÊTE, OU C'EST MOI QUI COUVE QUELQUE CHOSE ?

Il faut toute la maestria de Watterson pour rester cohérent et jongler entre les différents points de vue sans nous paumer.

Pour cela, il fait appel au dessin pur.

 Putain de nom d'un petit bonhomme que c'est beau.

Au découpage.

Des cases et inter-cases de tailles identiques pour des instants de durées et de valeurs identiques.

Un aparté qui n'a rien à voir mais vous vous rendez compte que Watterson utilise même les inter-cases pour dire quelque chose ?
(Des inter-cases plus minces ou plus larges selon le temps qui se passe entre chaque case.)
MÊME LES INTER-CASES, BORDEL DE MERDE !

Au scénario, aux personnages, à ce que l'on sait d'eux.

Que c'est meugnon.

Ou à tout en même temps.


BON, MAIS SINON, ON NE S’ÉLOIGNE PAS UN PEU DE LA QUESTION ?

Tout ça pour dire que Watterson fait cohabiter le point de vue des différents personnages entre eux...


OUI, D'ACCORD, ET ALORS ?


Et alors ces points de vue multiples permettent d'en apprendre plus sur nos deux héros.

PAR EXEMPLE : 


L’AMITIÉ DES DEUX HÉROS.


Hobbes ne se conforme jamais à la vision de Calvin. Il n'est jamais vu par Calvin comme un alien, un dinosaure ou un monstre. Il est vu comme Hobbes. Les imaginaires de Calvin et Hobbes s’équilibrent et rentrent en symbiose, pas en concurrence.


L’AMITIÉ DES DEUX HÉROS FACE AU MONDE.

Calvin et Hobbes sont deux personnages perdus dans un monde qu'ils ne comprennent ni ne maîtrisent.

Calvin est dominé par ses parents et plus généralement par le monde adulte. Hobbes, c'est pas beaucoup mieux : il se conforme sans cesse à ce qu'on attend de lui. Susie voit en lui un gentil agent double ? Il aide Susie. Les parents ne voient en lui rien de plus qu'un doudou ? Il est ce doudou. La brute de l'école pense qu'il est complètement inutile ? Il est compl... Ha non, flûte, ça marche pas.




Ça ne marche pas, parce que, dans ce cas, la manière qu'a Calvin de voir son meilleur ami l'emporte sur la manière qu'à la brute de le voir. L'amitié des deux compères est plus forte que la bêtise de l'autre guignol. On peut être bridé jusqu'à un certain point, mais pas jusqu'au point de renier son meilleur ami et de ne pas lui venir en aide.

(Quand Hobbes se conforme à la vision que les parents ont de lui, c'est que 1°) Calvin est aussi dominé par la vision des parents ; 2°) les parents veulent le bien de Calvin.) (Quand Hobbes se conforme à la vision que Susie à de lui, c'est parce que Susie est trop craquante. Et que Calvin est, au fond, d'accord avec ça. )


En fait, Hobbes se laisse imposer le point de vue des autres, tant que ça ne nuit pas à Calvin.

Vrais amis pour la vie !

L’AMITIÉ DES DEUX HÉROS EXPLORANT LE MONDE.

Ils utilisent leurs imaginations (parfois c'est celle de l'un qui mène la danse, parfois c'est celle de l'autre) (souvenez-vous du calvinball) pour essayer de se construire un monde à leur hauteur et à leur image.


L'univers entier leur donne de nouveaux terrains de jeux à découvrir et où s'épanouir.


L’AMITIÉ DES DEUX HÉROS DÉFENDANT UNE PHILOSOPHIE DE VIE.

Cette démarche rejoint celle de Watterson (que j'ai essayé de décrire dans les posts précédents), qui a réussi à s'aménager des terrains de jeux quasiment illimités dans lesquels il peut changer de sujet, de genre de récit, de style de dessin, sans perdre le lecteur une seule seconde. La liberté qu'a Watterson de changer la forme ou le fond de sa bande dessinée quand bon lui semble, d'utiliser n'importe quel objet pour le transformer ou en faire un nouveau sujet de strip, rejoint la liberté qu'a Calvin de faire ce qu'il veut, où il veut, de ce qu'il veut.

L’AMITIÉ DES DEUX HÉROS AU CENTRE DE TOUT.


1°) Oui (à mon humble avis, tout ça), Hobbes est un vrai tigre, puisque quand il s'agit de ne pas faire semblant pour plaire aux parents ou à Susie, il peut très bien péter la gueule à Moe.

2°) On s'en tape, parce que cette question de savoir si Hobbes est un tigre ou pas sert surtout à développer d'autres qualités de la bande dessinée.

3°) On s'en tape, parce qu'il n'est pas important d'être sûr que Hobbes soit ci ou ça. Il faut juste qu'on doute de sa nature.

C'est vrai, après tout, vous pouvez toujours me rétorquer : « Quand même, on peut pas dire le contraire, votre explication est un peu vaseuse...  » « Finalement, on doute toujours de l'existence de Hobbes. »

AHA ! « ON DOUTE. »

Voilà tout l'intérêt !


Les sens aiguisés par cette question et ce doute continu, on cherche à comprendre, on évalue les différents points de vues, on essaye de se glisser dans l'esprit des gens extérieurs qui se demandent ce qui se passe entre cette foutue peluche et Calvin ; on essaye de se glisser dans les pensées de Hobbes, qui est peut être simplement très timide et gentil quand il est confronté à quelqu'un qu'il connaît moins que son meilleur ami. On se met à la place de tous les personnages.



Ou comment l'histoire d'un petit garçon et d'un tigre qui se font toujours imposer le point de vue des autres nous convainc d'être attentif à tous les points de vues et à tous les possibles.

J'aime bien les schémas, moi. Pas vous ?

Tout devient soudain possible pour un lecteur de Calvin & Hobbes. Même de croire qu'un petit garçon est ami avec un gros tigre aux belles rayures dans une petite banlieue de ville américaine. Ou que ce tigre est la simple peluche d'un garçon à l'imagination débordante. Ou qu'on assiste a une très belle amitié. Ou à une vision du monde unique.

Ce flux et ce reflux, fait du mouvement de l'imaginaire même, donne toute sa vie et toute son intensité aux récits de Calvin et Hobbes.

Une oeuvre dans laquelle la vie devient papier et le papier de la vie...


jeudi 23 janvier 2014

La bande dessinée est la plus géniale de tout l'univers avec des tartines de thon.

Bill Watterson nous re-démontre qui c'est qui est le boss in da place. 

(Il est comme ça, Bill Watterson.) 


(Il aime bien que tout soit clair.)





Bill Watterson, Calvin & Hobbes, Universal Press Syndicate (?) & Les éditions du Lézard.

LA SUITE DE CE QUI PRÉCÈDE.

Il faut ajouter une nouvelle qualité à celles énumérées tantôt à propos de Calvin & Hobbes.

Une des plus remarquables caractéristiques de toute cette extraordinaire bande dessinée (tel le sel de la mer, le plumage du paon, le Walter PPK de James Bond, le racisme ordinaire des français, ou le souffle de la vie) est le travail réalisé par son auteur pour jouer et dialoguer avec le lecteur.

On n'aime pas seulement Calvin & Hobbes parce que c'est drôle, intelligent, émouvant, et patati et patata.

On l'aime aussi parce que l'auteur construit nos attentes, ou les déjoue, nous piège, ou nous conforte dans celles-ci.

Bref, parce qu'il nous implique.

C'EST D'AILLEURS UNE DES CLEFS DE LA CONSTRUCTION DE CALVIN & HOBBES.

CLEF QUE WATTERSON DÉVELOPPE A TOUS LES NIVEAUX.

De manière spécifique sur chaque page ; dans la diversité des gags quand on commence à en avoir lu pas mal ; et même au niveau du concept général de sa bande dessinée.

POUR CE QUI EST DE « LA MANIÈRE SPÉCIFIQUE A CHAQUE PAGE »...

Voilà une page...

...Et voilà ce qu'on comprend avant de commencer à lire.

Le lecteur sait qu'il va avoir droit à une histoire à chute/gag. Watterson sait que le lecteur sait. Il va donc l'allécher, d'entrée de jeu, avant toute lecture, par l'aspect global de sa page qui dit déjà : « Ok, tu veux du gag. Ok ok... Bon, regarde le petit Calvin dans le coin bas droit. C'est la chute en fin de page. On est d'accord, tu vas l'avoir. Pas de soucis. Donc tranquillise toi. ».

Cela permet à Watterson de développer un discours philosophique, philologique, et pas du tout rigolo (plus mélancolique et moins rapide) durant le reste de la page. Le lecteur se dit « Haha ! Ce qu'on va loler à la fin ! » et, en attendant, il accepte le reste sans sourciller. 

ON A DONC EU :


 Un beau dessin, expressif et efficace...

Mis en place pour développer une bande dessinée attentive à l'expression des sentiments des personnages...

Rendue possible par un découpage rythmé permettant de manipuler le lecteur...


Afin de créer des points de suspension dans le récit.


 Suspension qui permet à son tour de développer toutes les qualités ci-dessus citées.
(Dessin, expressivité, attention aux personnages, profondeur, patati.)

C'EST FORTICHE, QUAND MÊME !

Le plus fort étant que cette suspension, utilisée pour approfondir les personnages, sert aussi à modifier le rythme de l'histoire pour amener une chute plus abrupte, plus marquante, et plus drôle. Ou, comme on dit de par chez moi : « rien n'se perd, ma brave dame ».

Avec ce système, Watterson nous dit au début : « Hey, jeune impétrant ! Fais moi donc confiance ! ». Et nous de dire à la fin : « Whou ! Un gag + de la profondeur + un bout de chou émouvant ! Ça vaut le coup ! La prochaine fois, je lui ferais confiance derechef, à ce Watterson ! »

Bref :  le dialogue auteur-lecteur s'installe...

OUI, D'ACCORD, M'ENFIN, BON, ÇA PEUT ÊTRE LASSANT, TOUJOURS LE MÊME SYSTÈME, UNE FOIS QU'ON A PIGÉ LE TRUC.

Rien de plus vrai.

C'est pour ça que ce n'est pas toujours le même système.

Comme ça, une fois le dialogue auteur-lecteur établi, il n'est jamais brisé par une quelconque lassitude ou impression de répétition ; on a toujours le sentiment d’approfondir notre relation aux personnages et à l'auteur.

ALORS ATTENTION !


Est-ce qu'il y a toujours Calvin et Hobbes dans Calvin & Hobbes ? Oui. Est-ce qu'il y a toujours des gags ou des réflexions philosophiques à la fin de chaque histoire ? Oui. Est-ce que Watterson travaille toujours son rythme dans l'optique de se rapprocher des personnages ? Oui.


MAIS !


Il va faire varier ce qu'on pourrait appeler la forme de sa bande dessinée (le type de dessin, le type de récit) pour ne pas lasser sur le fond (dessin, expressivité, attention aux personnages, profondeur, vous connaissez le topo, oui, je me répète, oui, je suis gâteux, oui, je regarde les Feux de l'amour en ressassant mes souvenirs de jeunesse durant la guerre de 40, ce temps béni où la France avait enfin trouvé un führer leader digne d'elle en la personne du Maréchal).


(Et maintenant, sous vos yeux ébahis, une petite partie pour les anglophones, c'est pédagogique, ça récompense ceux qui suivaient à l'école en cours de langue ou ceux qui téléchargent illégalement Game of Thrones et suivent ça avant même que les sous-titres ne soient dispos.)







Variations sur la forme : on passe d'une chronique quotidienne sous la neige à un polar, puis à un dessin réaliste animalier.
(N.B. : Les trois strips-bonhomme-de-neige sont aussi changeants : un strip-une-case, un strip silencieux, un strip très dialogué.)

PREMIER INTÉRÊT DES VARIATIONS : NE JAMAIS SE RÉPÉTER, NE JAMAIS S'ENNUYER.

Une allégorie de toutes les histoires de Calvin et Hobbes.

Quand on a assez fait de bonhommes de neige, bin on passe à des girafes pour parler d'autre chose. Quand on en a assez du foot, on passe au badminton, puis au calvinball.

De cette manière, Calvin & Hobbes ne lasse ni le lecteur (qui n'achète pas forcément cette bande dessinée pour se barber), ni l'auteur 
(qui pourrait s'épuiser à raconter toujours les mêmes histoires).

(Rien de problématique à réaliser une œuvre disons, euh, un rien ardue pour le lecteur. (Qui a dit : « Beckett » ? Qui a dit : « Joyce » ? Qui a dit : « en bande dessinée aussi, dites donc » ?) Il y a de très bonnes oeuvres qui expliquent que la vie est pas jolie-jolie et qui se mettent au diapason de cette réalité.) (Seulement, ce n'est pas du tout le sujet de Calvin & Hobbes. Au contraire.)

(Ce
 n'est pas non plus spécialement négatif que l'auteur déprime. On s'en tape, dans l'absolu, de l'auteur. Par contre, si celui-ci essaye d'humaniser ses personnages en diffusant à travers eux et qu'il devient un sale con (ou plus simplement un blasé/fatigué), eh bien ses personnages ont toutes les chances de devenir aussi des sales cons (ou plus simplement des blasés/fatigués).) (Les plus vieux d'entre vous, qui se souviennent des dernières saisons de X-Files comme d'autres se souviennent du Vietnam, me comprendront.) (Et ni Calvin ni Hobbes ne sont des blasés.)

Cette logique est poussée à fond les ballons sa mère chez Moebius, qui dessine d'une page à l'autre, d'un jour à l'autre, suivant son humeur. Humeur changeante, forcément. Et donc bande dessinée changeante. Il ne se lasse donc jamais de l'exercice, puisque ce n'est jamais le même exercice.

Images de Moebius en train de ne pas s'ennuyer.

Bref, comme le dit Calvin : « la seule règle du calvinball est qu'on ne peut pas jouer deux fois avec les mêmes règles ». 

DEUXIÈME INTÉRÊT DES VARIATIONS : MIEUX DÉCRIRE UNE CERTAINE RÉALITÉ, SE RAPPROCHER DES PERSONNAGES, S'EXPRIMER EN TANT QU'AUTEUR. (TOUT ÇA !)

Si je re-re-re-re-re-résume certaines qualités évoquées dans le précédent message, il y avait :

  • Une bande dessinée expressive.
Et un dessin est d'autant plus expressif qu'on peut le modifier en fonction de ce qu'il doit montrer.

Que ce soit dans son style :


Ou dans l'univers qu'il décrit :


(On note l'utilisation des couleurs chelou, très pulp, qui influent aussi sur la signification du dessin.)

  • Une bande dessinée attentive à des personnages profonds.
Le style peut être modifié pour exprimer la manière dont un des personnages perçoit son environnement.



Double effet kiss kool : on est surpris par une nouvelle approche graphique ; on est donc curieux de son explication ; on est d'autant plus attentif au point de vue du personnage qui explique tout ce mystère.

  •  Une bande dessinée stylée et personnelle.
En développant tout un tas d'outils graphiques ou narratifs pour mieux s'exprimer, Watterson personnalise sa bande dessinée autant que ses personnages, pour en faire un univers unique.

On voit pas ça tous les jours...

DONC, EN FAIT, TOUT EST DANS TOUT ET TOUT SERT A TOUT.

Les variations servent les autres qualités de Calvin & Hobbes, et les autres qualités de Calvin & Hobbes servent les variations.

Pour résumer ça, un schéma moche :

Quoi ?! Tout le monde est pas obligé d'être un pro de Photoshop ! Ça va bien, le diktat du bon goût !

Je dirais même plus : un schéma très moche :

C'est bien plus clair comme ça, non ?

Alors, certes, là, tout de suite, à brûle-pourpoint, ça paraît compliqué.

C'est parce que ça l'est.


Une bande dessinée, ce sont des tonnes et des tonnes d'éléments différents qu'il faut maîtriser puis associer de la manière la plus harmonieuse et performante possible.


La bande dessinée, c'est chaud.


C'est tout au mérite des auteurs de se gratter la tête toute la sainte journée pour essayer d'identifier et ensuite appliquer ce genre de bazar à base de flèches, de mots violets, oranges, gris, et bordéliques..


C'est tout au mérite de Bill Watterson d'arriver à en faire un tout cohérent.


UN TOUT UTILISÉ DANS UN BUT ENCORE PLUS SIOUX, ET NON DES MOINDRES : RENFORCER LE COEUR MÊME DE SON OEUVRE.

Un coeur qui repose sur une question : « Est-ce que Hobbes est un tigre en peluche issu de l'imagination de Calvin et de l'auteur ? ».


Selon moi, la réponse est « non ».

J'ESSAYERAI D'EXPLIQUER POURQUOI LA SEMAINE PROCHAINE.




Dites donc, ça a été l'orgie de pages, ce coup-ci. Pour un dossier sur Watterson, un auteur particulièrement à cheval sur l'utilisation et le détournement de son travail, ça ne manque pas de piquant. (Je dis ça, je dis rien.)

JE NE SAIS PAS. JE NE VOUS ENTENDS PAS. JE SUIS DÉJÀ PARTI.