jeudi 28 novembre 2013

La bande dessinée est une chapelle Sixtine.

Suite au message précédent qui essayé de dire que l'histoire en elle-même n'était pas très importante pourvu qu'on ait lu une belle aventure, je voudrais essayer de généraliser cette idée par rapport au sujet de cette fameuse histoire qui sous-tend une bande dessinée. 

Et pour ce faire, aujourd'hui, je triche. Ce n'est pas vraiment une critique. Plutôt une explication de texte (on dirait le lycée, ça ne nous rajeunit pas) pour étayer mon point de vue sur le lien entre le sujet d'un livre et son intérêt artistique (je vous le dit tout de suite : y en a pas) (c'est bon, pas la peine de lire la suite, profitez-en pour faire un Sudoku en mode expert, bonne soirée) (je déconne, revenez, déjà que y a personne qui vient ici, si vous partez, ça va commencer à ressembler au Sahel). 

Bref, j'utilise le propos de la postface d'une (grande) bande dessinée pour dire que je pense tout pareil.

En effet, dans cette postface, Alan Moore et Eddie Campbell nous montrent que le sujet, le fond, tout ça, on s'en tape.
  



 

Alan Moore & Eddie Campbell (avec l'aide de son collaborateur dont le nom m'échappe), From Hell
avec des tas d'éditeurs en anglais et juste Delcourt en français (de Jean-Paul Jennequin et Loïc Hanno).

IL FAUT BIEN SE REMETTRE DANS LE CONTEXTE DE CETTE BANDE DESSINNEE.

Les auteurs viennent de nous bassiner pendant plus de 550 pages avec Jack l'éventreur en développant toute une intrigue chelou pour expliquer qui il est, et pourquoi, et comment, et quelle est sa pointure, et s'il aimait bien Rika Zaraï...

Arrivés à la fin de cette grâânde oeûûvre, ils prennent encore un peu de temps pour écrire une postface. Pour préciser que la théorie sur laquelle ils se sont basés pour réaliser toute la bande dessinée, bon, hein, faut pas trop s'y attacher, c'en est une parmi tant d'autres, et, finalement, tout ça, c'est bonnet blanc et blanc bonnet. On s'en moque, finalement, de qui était Jack l'éventreur...

Après 550 pages. Dessinées tout fin et écrit tout petit.

EST-CE QUE LES AUTEURS ONT FONDU LES PLOMBS A CAUSE DU SURMENAGE ?

Pas vraiment...

Plus simplement, comme ils l'expliquent :

  
AUTREMENT DIT :

Personne ne connaîtra jamais la stricte vérité sur les meurtres de Jack l'éventreur et le seul intérêt de tout cela réside dans la manière que NOUS avons de les appréhender.

Le sujet de From Hell n'est qu'un prétexte pour, ensuite, parler de toute autre chose et développer leur art comme les auteurs l'entendent. Ce n'est qu'un support. Cela aurait pu être autre chose. Ce fait divers n'a été choisi que parce qu'il enflamme l’imagination.


Cette flamme qui permet :
  1. De favoriser une démarche artistique (mélanger pleins de trucs dans l'esprit du lecteur afin de créer de nouvelles impressions).
  2. D'établir une complicité avec le lecteur (le but de l'histoire n'a pas bien d'importance ; l'important, c'est le chemin parcouru).

DONC, BON, POUR RÉSUMER :

Le sujet n'est pas important. Tout ce qui compte, c'est ce que l'ont en fait, c'est l'art qu'on y met.

ET COMME DÉMONSTRATION, UN AUTRE EXEMPLE IDIOT :

Alors que le sujet et ses développements sont les mêmes pour Le Parrain et Le grand pardon (deux histoires identiques, puisque l'une est le copié/collé de l'autre), les deux films sont très très TRÈS différents.



Mi-sé-ri-corde...

Comme quoi, hein... Le sujet ne fait pas tout... Le sujet, on peut l'envoyer se faire voir ailleurs... Il n'y a que son traitement artistique qui compte, et qui démarque une oeuvre d'une autre. Comme From Hell se démarque de tous les autres livres traitant des meurtres de Jack l'éventreur...

ICI, FAISONS UN PETIT APARTÉ SUR CE QUI MOTIVE EN GÉNÉRAL LE SUJET D'UNE OEUVRE D'ART.

Ce qui motive en général le sujet d'une oeuvre d'art, c'est le pognon.

EH OUI ! IL FAUT BIEN VIVRE MA BRAVE DAME !

Et pour trouver du pognon, il faut en général aller le chercher là où il se trouve.

PAR EXEMPLE : MICHEL-ANGE.

Michel-Ange est allé chercher l'argent chez les gens blindés de son époque : les curetons l'Église.

 Métaphore de l'auteur allongeant la main pour qu'un vieux lui paye l'argent qu'il lui doit.

On lui a dit : « Hé, euh, Machin, tu nous referais pas notre plafond ? Non parce qu'on a eu un dégât des eaux. » « Euh... Oui... Pourquoi pas... » « Bon bin tu nous prends tes petits pinceaux et tu nous torches ça en deux-deux, s'il-te-plaît. ». Et il l'a fait. Avec du retard, mais vous savez ce que c'est, on ne trouve plus de bon artisans de nos jours, mon brave monsieur.

PAR EXEMPLE : REMBRANDT.

C'est sûr que ça sent pas les restos du coeur, ici.

Qu'est-ce que c'est que cette manie de nous faire des portraits de bourgeois, Monsieur Rembrandt Harmenszoon van Rijn ? (Et qu'est-ce que c'est que ce nom à la gomme ?) Comment ça « les bourges, c'est bien les seuls à allonger la maille pour des trucs que tout le monde méprise » ? Comment ça « et de toute façon, à mon époque, les peintres valaient pas grand chose de plus que des crottes de biques et on était un peu les larbins des riches quand même, et un repas chaud ça fait pas de mal de temps en temps » ?

Bon. Ça se tient.

PAR EXEMPLE : FRANQUIN.

Fallait bien qu'il vive, Franquin.

Il faisait des bande dessinées, Franquin.

Et les bande dessinées, à l'époque et jusqu'à preuve du contraire, c'était pour les gosses.

Même que quand on essayait de mettre des choses un peu différentes (comme de l'action un chouille rude, ou des gros-mots, ou (encore pire) une femme avec un tant soit peu d'attirance dedans), on se faisait bien sèchement recadrer par le comité de censure. (D'où le caractère un peu pimbêche de certaines héroïnes comme Seccotine. 'Fallait qu'elle soit suffisamment insupportable pour qu'on n'en tombe pas amoureux.)

Allégorie du mystère féminin.

(Ne dites pas de mal des comités de censure, il font des rapports avec de très jolis titres comme La séduction des innocents.) (Classe.)

ATTENTION ! SPOILER SUR SPIROU ET FANTASIO ET LA FOIRE AUX GANGSTERS !

Souvenons nous avec émotion de la mort de Monsieur Soto Kiki... La mort d'un personnage vu dans à peine sept pages (j'ai compté), parce qu'il ne faut pas trop choquer non plus. Une mort hors champ.

On peut distinguer les yeux des futures victimes avant l'agression, mais, au moment terrible, ceux-ci disparaissent complètement.
Il disparaissent même deux fois. Une fois cachés par la voiture distordue. Une seconde fois cachés dans le téléphone de Spirou.
On peut pas faire plus hors-champ.

Adieu, Soto Kiki, traumatisme hors-champ de mon enfance meurtrie.

MAIS, COUP DE BOL, ÉGLISE FAISANT RESPECTER LA DOXA SUR LES REPRÉSENTATIONS RELIGIEUSES, BOURGEOIS PEINTS SOUS UN JOUR FLATTEUR, OU JEUNES TÊTES BLONDES PROTÉGÉES PAR LA CENSURE, TOUT CELA N'A AUCUNE IMPORTANCE.

Pourquoi la chapelle Sixtine, on en tartine des kilomètres chaque année, dans des tas de revues plus ou moins interlopes ? Sûrement pas parce que Michel-Ange a peint des Adams, des Moïses, tout le tremblement, et que tout le monde adore la Bible (un beau livre plein de sagesse, chère petite Demoiselle). Mais bien plutôt à cause de ses représentations bouillonnantes et pleines de vie, aux poses noueuses et athlétiques.




Des corps tous tournicotés pour donner plus de dynamisme aux compositions.
C'est pas parce qu'on fait ça pour le pognon qu'il faut bâcler.

Pourquoi Franquin, on nous saoule tout le temps avec ? Alors qu'il avait un gros nez !

Une ligne de mouvement discrètement infléchie, de manière à ce que l'accident arrive directement sur les pieds de Spirou,
et qu'il ressente toute l'horreur de l'attentat.

MAIS CE QUI EST INTÉRESSANT DANS FROM HELL, CE N'EST PAS ENCORE ÇA.

Comme j'essayais de l'expliquer, l'un des objectifs des artistes est d'essayer de faire durer les sensations qu'ils ont réussi à générer dans l'esprit du lecteur le plus longtemps possible. Une des méthodes pour faire durer ces sensations est d'emberlificoter le plus possible d'éléments pour mettre la tête du lecteur à l'envers.


En essayant de discerner les différents éléments tous enchâssés les uns dans les autres le lecteur n'arrive plus à analyser clairement pourquoi il ressent ci ou ça. Les sensations ne semblent plus mécaniquement générées par tel ou tel élément de la bande dessinée. Les sensations deviennent, en quelques sortes, euh... de vraies sensations.


La bande dessinée devient comme réelle. Elle prend vie, comme on dit parfois pompièrement (ne cherchez pas, je viens d'inventer ce mot). Elle s'envole, comme disent les auteurs de From Hell.


COMMENT ÇA, « Y AVAIT VRAIMENT QUE DU BLABLA, CE COUP-CI ! » ? 

OUI, NON, MAIS BON... C'EST POUR PRÉPARER LE TERRAIN DU PROCHAIN MESSAGE. ALORS J'AVAIS LE DROIT.

vendredi 22 novembre 2013

La bande dessinée est complice.

Hergé nous montre que l'aventure, c'est l'aventure.

!!! ATTENTION !!!
!!! ALERTE SPOILER !!!
!!! AUJOURD'HUI, LA DERNIÈRE PAGE ET TOUTE L'INTRIGUE DE L'AFFAIRE TOURNESOL !!!

Hergé (et tout son studio), L'affaire Tournesol, Casterman.

Hergé, c'est bien connu (ou pas), est le roi du prétexte...

Ses personnages partent à l'aventure, comme ça, sur une coïncidence, une rencontre fortuite, un coup de tête. Un prétexte, quoi. Ça peut être une boîte de crabe aux pinces d'or. Ça peut être une maquette de bateau du chevalier de Haddock. Ça peut être un rêve montrant son ami Tchang survivant à un crash d'avion dans l'Himalaya.

Hergé joue de cette mécanique et, parfois, la déconstruit. (Trop cool ! Du méta !)

!!! ATTENTION !!!
!!! ALERTE SPOILER !!!
!!! AUJOURD'HUI, LA DERNIÈRE PAGE ET TOUTE L'INTRIGUE DU TRÉSOR DE RACKHAM LE ROUGE !!!

Dans Le trésor de Rackham le rouge, donc, les héros montent une mission d'exploration sous-marine pour trouver un trésor, vont en plein milieu de l'océan Atlantique l'océan Pacifique l'océan, explorent une île, localisent une épave, explorent l'épave en scaphandre et sous-marin de poche, rentrent chez eux.

Tout ça pour découvrir que le trésor était planqué en Belgique.

Le voyage et toutes ces aventures n'ont servi à rien. A rien sauf à vivre un beau voyage et de belles aventures. Le prétexte était bidon. Mais l'aventure valait le coup d'être vécue. Une bien belle leçon de vie, ma foi ; n'est-ce pas tata Jeannine ?

!!! ON RETOURNE AUX SPOILERS SUR L'AFFAIRE TOURNESOL !!!

Dans L'affaire Tournesol, Hergé nous fait le même coup.

Alors que tout le monde cherche des microfilms secrets planqués par le professeur Tournesol, Tintin et le capitaine Haddock vont s'engager dans une poursuite échevelée et internationale, passer par la Suisse, passer par la Bordurie, lutter contre moult espions, conduire un char, et j'en passe...

Sauf que, au début de l'aventure, Tournesol avait oublié ces fameux microfilms sur sa table de chevet.

C'EST BALLOT.

Là encore, le trésor tant recherché se trouvait à attendre bêtement en Belgique. Répétons-le tous en cœur : ce n'était pas le but de l'aventure qui était important, c'était l'aventure en elle-même.

Hergé a encore une fois pris ses lecteurs pour des jambons. Il n'en a tellement rien à faire de ces microfilms que, dès qu'ils ont été retrouvés, Tournesol les brûle. Ça valait bien la peine d'aller se faire suer la quiche à pétaouchnok-ville !

Pour donner dans la philosophie à deux balles : l'important n'est pas l'archer, l'important n'est pas l'arc, l'important n'est ni la cible, ni la flèche. L'important, c'est la trajectoire.

OUUUUUHHH, C'EST BÔÔÔOOOO...

Au moment de détruire ces fameux microfilms, on n'en a même rien à faire de les détruire. C'est juste pour la blague. Juste pour finir le livre en beauté. La preuve :

  1. Bon, pour commencer cette page, on va régler cette histoire de chasse aux microfilms. Voilà. Ils étaient sur la table de chevet. Qu'il est couillon ce Tournesol. Ha ha. Sacré lui.
  2. On en profite pour faire un sort à tout l'enjeu de l'histoire. Des microfilms ? A pu microfilms !
  3. On glisse là un petit effet spectaculaire, un peu d'action, un peu d'effets spéciaux. Bref, on aguiche.
  4. On rigole drôlement (on passe de narration/résolution à action puis à humour en trois cases, bravo l'artiste).
  5. Pour finir sur les personnages qui s'engueulent (antagonismes !) tout en s'aimant bien quand même. Sacré Haddock... On le changera jamais ! Ni Tryphon, d'ailleurs ! Ils sont quand même mignons, tous les deux. Les microfilms sont bien un prétexte. Ce qui compte, c'est ce que vivent les personnages et les liens (très forts) qu'on voit vivre entre eux.
  6. Petite case de transition un brin maladroite... (Ouuuh ! J'ai dit du mal !)
  7. La même chose qu'avec Haddock : humour et antagonismes (les 3 cases du dessus et du dessous ont des structures identiques).
  8. Pif, paf, en deux cases c'est fini. On plie tout et on remballe.
  9. Oui, fini. Et bien fini.

Un peu comme chez Tillieux, dans cette page, on a de tout. C'est la foire-fouille des Tintino-bédéphiles. Dans le désordre, on peut donc lister (c'est la fête aux énumérations, dites donc !) (c'est plus facile à écrire, c'est pour ça.) (quelle feignasse !) (ça vous dérange pas quand je me parle à moi-même, hein ?) :

  • Milou.
  • De l'action. (Bon. Pas hyper échevelée... Mais disons alors : de la surprise.)
  • Des coups de gueule de Haddock. (Qui ne sont pas que utiles pour mettre un peu de piment dans les relations entre les personnages. Ces coups de gueules rendent les personnages plus vivants, la scène plus vivante. Ces coups de gueule rendent Haddock plus humain.)
  • Dans le même genre d'idée, nous avons Tournesol qui plane à 10 000.
  • Et du coup, nous avons ainsi des personnages croquignolets ET attachants.
  • Comme tout cela est rondement mené et qu'on passe de l'action à l'humour puis aux personnages, comme ça, en un claquement de doigts, il est plus facile d'utiliser des ellipses hyper osées. (Le lecteur y est déjà habitué.) (On change déjà de genre à chaque case, pourquoi ne pas changer complètement de situation d'une case à l'autre ?) (Ce qui est une technique quand même relativement osée.) (Essayez de parler d'ellipses à un directeur éditorial de bande dessinées jeunesse, juste pour rigoler...) (N'oubliez pas d'apporter avec vous un défibrillateur, hein.)

Pif. Paf. Pouf. La puissance de l'ellipse.

Surtout, il faut remarquer à quel point la résolution finale (Séraphin Lampion qui entend pile le mot qu'il faut) est une grosse facilité (pas dans le genre : « Il est doué, le bougre. » ; plutôt dans le style : « Non mais la coïncidence à deux balles, juste parce que ça l'arrange ! Quel tocard ! »).

OUI. CERTES. MAIS !

Une facilité passe toujours très bien quand elle prise dans le maelström de l'intrigue et, SURTOUT, quand elle est bien préparée et que l'auteur arrive à mettre le lecteur dans le coup.

PAR EXEMPLE :

Tournesol a été enlevé. Haddock et Tintin le cherchent partout. Ils n'ont plus aucune piste. Ils font le bilan en marchant dans la rue.

Faisons un petit bilan bien relou à base de texte plus dense que dans un roman de Proust.

Et tout d'un coup !

Le pur hasard ! La coïncidence de malade mental de dingo !

A partir de là, tout devient facile...

Pareil qu'avec Séraphin. Pif - cigarette. Paf - voiture diplomatique. Pouf - ambassade. Ploum - rencontre secrète.

Nous avons dans ce passage un enchaînement hallucinant de coïncidences.

Mais on suit tout ça de manière détendue, sans sourciller. Alors que pour d'autres auteurs, d'autres bandes dessinées, on aurait déjà envoyé le bouquin à travers la fenêtre pour lui apprendre à voler.

Pourquoi, dans ce cas, ça fonctionne ?

Parce que Hergé prépare le terrain.

La première bande (dans laquelle Haddock et Tintin résume les épisodes précédents) n'est pas juste là pour les personnes un peu bébêtes qui auraient perdues le fil de l'intrigue. Elle est aussi là pour faire cogiter le lecteur. Il se dit : « Alors, oui, effectivement, il y a eu ci, il y a eu ça... Donc, est-ce que... Mais non ! Tournesol... Où peut donc être Tournesol ? Comment je pourrais m'y prendre pour retrouver Tournesol ? ». Et juste au moment où le lecteur se pose la question, pif, l'auteur lui apporte la réponse : « Suis la cigarette ! ».

A ce moment le lecteur se dit « Oui, d'accord, c'est bien beau, mais comment je fais, moi, pour suivre une cigarette ? ». Et Haddock de répondre : « Suis plutôt la voiture, gros balourd... C'est une voiture diplomatique. »

Etc.

Hergé arrive à travailler le lecteur, à le manipuler, à anticiper ses questions. Plus fort : il fait germer ces questions dans son esprit. Du coup, quand il donne la réponse, le lecteur est satisfait. C'était justement l'élément qu'il attendait qu'on lui donne. Comme si les pensées de l'auteur, les intrigues de l'histoire, et les réflexions du lecteur étaient intriquées les unes aux autres.

Autrement dit, pour parler plus simplement : le lecteur se fait mener par le bout du nez de A à Z.

Le rythme de la narration est tellement bon qu'il se laisse porter par la petite musique de l'auteur.

MAIS REVENONS A LA DERNIÈRE PAGE DE L'AFFAIRE TOURNESOL.

Une fois le détail des microfilms réglé, on se retrouve avec Séraphin Lampion sur les bras.

Oooh nooon... On a réglé les microfilms, qu'est-ce qu'il vient nous emmerder, maintenant ?

A ce moment, le lecteur se demande : « Mais qu'est-ce qu'il est couche, celui-là... Comment ça va finir cette histoire de Séraphin ? ». Et au moment où il se pose cette question, arrive directement la réponse.

Voilà. Bye bye Séraphin...

Dans le cas qui nous occupe, le lecteur sait que c'est la dernière page. Il sait que ça va bientôt se finir. Et il se demande bien comment. Alors, quand arrive la facilité qui règle tout (confondre carabine et scarlatine ; Tournesol aurait bien pu entendre églantine, ça n'aurait pas du tout réglé la situation), le lecteur l'accepte, tranquillement, parce qu'il se demandait justement comment tout cela aller finir, et qu'on lui apporte la réponse sur un plateau.

IL Y A DEUX FAÇONS DE VOIR TOUT CE BAZAR.

Soit on se dit que Hergé prend ses lecteurs pour des débiles avec une histoire sans rimes ni raison.

Soit on se dit que Hergé adore nous raconter des histoires, qu'il nous l'explique bien calmement (ce ne sont pas les microfilms ou les trésors du chevalier de Haddock qui sont importants, c'est le voyage qu'ils permettent, c'est l'aventure), et que, partant de là, il aime jouer avec nous, nous manipuler, nous emporter, anticiper nos attentes, créer nos attentes. Bref, il aime que le lecteur s'amuse avec lui, comme ses héros s'amusent durant leurs aventures.

jeudi 14 novembre 2013

La bande dessinée fait semblant de tirer la tronche.

Goossens nous montre comment déconner froidement, l'air de rien.



Daniel Goossens, Georges et Louis romanciers - La fin du monde, Audie - Fluide Glacial.


AUJOURD'HUI JE VAIS ME LA JOUER PÉPÈRE, JE VOUS PRÉVIENS.

Il va s'agir de regarder un peu tous les aspects des planches de Goossens au regard de ce que j'ai dit dans les chapitres précédents.

Du coup, on va se rendre compte (enfin, j'espère) que je n'écris pas trop de grosses conneries et que Goossens fait de la bande dessinée comique avec le sérieux d'un pape dépressif.

Donc...

Si on regarde les aventures de Georges (le grand) et Louis (le petit), on se rend compte qu'il font plein de choses...

Notamment :

  • GEORGES ET LOUIS SONT UN POINT D'ANCRAGE. 
Si Goossens ne faisait que nous raconter l'histoire du général au chevet du fou qui veut que tout le monde aille retaper une bicoque à la campagne avant d'être interrompu par un sage éleveur de chèvre, on lâcherait vite fait la rampe. Ce serait too much. Alors qu'avec Georges (le grand) et Louis (le petit) qui font contrepoint, on peut sortir du récit et se rattraper à quelque chose de plus quotidien (deux gus communs qui papotent dans un bureau) (et qui décryptent le précédent récit). (Bon, ensuite, cette nouvelle situation glisse elle aussi dans l'absurde, mais quand Georges interrompt le récit parce que c'est portnawak, il le fait parce que nous avons nous-même envie d'interrompre le récit. Georges offre une respiration avant de replonger dans l'absurdo-débile.) Preuve de tout cela : nous sommes avec Georges et Louis comme avec des amis.

  • NOUS SOMMES AVEC GEORGES ET LOUIS COMME AVEC DEUX AMIS.
De même que chez Guibert, chez Georges et Louis, nous sommes « à hauteur d'homme ».

Quand nous sommes dans leur bureau, nous sommes à côté d'eux. On ne participe pas à leur conversation  (on est de l'autre côté du bureau) mais on les observe, on les écoute, on essaye de se mettre sur la pointe des pieds pour voir ce qu'il y a d'écrit sur ces satanés feuillets.


Et quand on n'est pas avec eux mais dans le récit, rebelote. Nous épousons des points de vue crédibles. Un coup au chevet du malade qui délire (mais toujours debout, jamais vraiment inséré dans le groupe, toujours en spectateur), un coup en bas de la colline avec le vieux-sage-éleveur-de-chèvre.


D'ailleurs, preuve de leur sérieux :

  • GEORGES ET LOUIS ONT UN BUREAU.
Le décor, là encore, est utilisé pile comme il faut...

Deux personnages discutent de manière intello (de choses complètement débiles, mais de manière intello) ? On se retrouve dans un décor qui nous informe, qui nous renseigne sur le sérieux de la situation. Un bureau avec des livres d'études ouverts, des tableaux en liège avec des notes dessus, et même un téléphone (rendez vous compte).


De plus, comme chez Marion Duval, le décor est utilisé de manière très maligne. Il est là mais il ne phagocyte pas la scène. Il est comme une sorte de petite obsession inconsciente qui s'allume dans notre cerveau.



Cet ancrage réaliste permet d'ensuite partir en capilotade dans le récit.

Enfin... Capilotade... C'est vite dit. Parce que le récit dans le récit respecte aussi des codes... 

  • OU PLUTÔT LES CLICHES DU GENRE.
Pas un personnage qu'on ait déjà vu 257 783 fois dans n'importe quel téléfilm de troisième partie de soirée sur NRJ12.

On a droit à un peu tout. Le général. Le rescapé. Le vieux sage qui a tout vu. La « femme ». (Il n'y a toujours qu'une femme dans les récits de survie. Va savoir pourquoi. Bon. Parfois, il y a aussi une ado. Qui est un autre cliché.) Bref. On se retrouve avec le casting complet du Poséidon

Là encore, c'est pour inscrire tout ça dans un look « sérieux et sacrifice », « récit d'hommes, de vrais ».

Et quand il n'y a pas d'enjeux raisonnablement dangereux ? Hé bien les personnages réagissent quand même comme si leur vie en dépendait.


Ces clichés ne sont pas seulement visible dans le scénario. Mais il déteignent également sur le dessin, qui est à la fois très beau et très classique (par classique, je veux dire « académiquement juste »).

En ce sens, il correspond bien à l'ambiance générale de sérieux de l'entreprise. Comme les décors sont utilisés de manière classique, comme tous les moyens de la bande dessinée sont engagés pour réaliser un récit avec le plus de maestria possible, comme tout est fait pour impliquer le lecteur dans le récit (identification, voyage entre amis, etc.), le dessin semi-réaliste pourrait nous faire croire qu'on est pas là pour rigoler, que le sujet est important, qu'on est peut être tombé sur une biographie de Churchill sans faire exprès.

Les visages des personnages, façon John Wayne et Robert Mitchum qui serrent les mâchoires dans Le jour le plus long, participent aussi à ce sentiment.



Et tout ça pour quoi ? Pour que ces durs à cuire s'opposent les uns aux autres (encore un cliché).

  • HALALA, LES DURS A CUIRES...
On passe d'une opposition « Georges et Louis »/« témoin délirant » à l’opposition « témoin délirant »/« général à son chevet » à l'opposition « général au chevet »/« éleveur de chèvre ».

Cette manière classique d'agencer un récit permet de se la jouer concerné. Il y a des antagonismes. Des oppositions. Des prises de chou. Des enjeux. C'est sérieux. On n'est pas là pour déconner (en fait, si).

Goossens ne se contente d'ailleurs pas d'adopter des méthodes « scénaristiquement correctes ». Il respecte aussi les méthodes « bédéistiquement correctes »



Quand Louis est à l'attaque et argumente, il est à gauche de l'image. Parce que, du coup, ses paroles semblent attaquer Georges. (Comme le regard va dans le sens de lecture, celui-ci part de Louis et va vers la droite. Du coup, il a l'impression que Louis est à l’offensive, qu'il est dans le sens du mouvement des choses (point justification de politique ultra-libérale). De plus, l'espace entre les deux personnages semble lui appartenir. Par la suite, le regard arrive sur Georges, en bout de case. Et Georges paraît acculé.)

Dans la deuxième case de l'extrait, quand Georges est à la relance, la position de son corps est placée dans le sens de la lecture. En plus, il s'est décalé au milieu de la case, il n'est plus acculé.

Enfin, quand Georges marque un point dans la dernière case de l'extrait, il se retrouve cette fois à gauche de la case, dans le sens de lecture. C'est lui, cette fois, qui possède l'espace.

Bref. Goossens la joue « je respecte les règles et je les utilise comme il faut ».

BREF !

Tout est fait pour conserver l'esprit de sérieux de la bande dessinée qu'on lit.

Puis, ensuite, gentiment, Goossens prend l'esprit de sérieux par la main, et lui explose les rotules.

Parce que tout ça est simplement fait pour dire des conneries et que l'effet de ces conneries, par contraste avec le sérieux de tout le reste, prend une ampleur des plus extraordinaires.

DU COUP...

Goossens nous met dans sa poche en nous faisant comprendre que tout ça est là pour qu'on s'amuse et que nous sommes en quelque sorte du bon côté, pas celui des débiles qui racontent n'importe quoi pour nous faire marrer, mais du côté des gens intelligents qui se gondolent en lisant l'histoire. Ce faisant, Goossens en profite pour nous mélanger les pinceaux. C'est à dire qu'entre ce qui est sérieux, ce qui ne l'est pas, les personnages qu'il faut prendre au premier degré (Georges et Louis en mauvais écrivains) ou au second (Georges et Louis qui fondent les plombs à base de « je ne suis pas une femme séduisante »), sans compter les personnages et situations complètement débiles, on ne sait vraiment plus ce qui est du lard ou du cochon. On ne voit plus les coutures du récit, on ne peut plus que se laisser porter par la folie douce qui berce le tout, toute les couches du récit créant un véritable effet artistique d'autant plus profond qu'il reste indéchiffrable, trop complexe.

AU FINAL.

Comme les plus grands, Goossens nous montre qu'une bande dessinée peut être un éléphant... Que l'ont peut raconter n'importe quoi, n'importe comment. Qu'il n'y a pas de règles. Mieux, qu'on peut prendre les règles par les doigts de pieds, et leur faire faire un 360.

En n'utilisant que des standards dans son récit, mais en les combinant différemment, Goossens obtient quelque chose de tout à fait nouveau (et drôle !).

BON, J’ESPÈRE QUE JE N'AI PAS ÉTÉ TROP RELOU POUR EXPLIQUER DES TRUCS RIGOLO, CE SERAIT VRAIMENT PAS DE BOL...

ALLEZ ! UNE PETITE LOUCHE EN PLUS DE GOOSSENS, PARCE QUE C'EST RIEN QUE DU NATUREL, CA PEUT PAS FAIRE DE MAL.



jeudi 7 novembre 2013

La bande dessinée est remplie de gens qui parlent.

Daniel Clowes nous montre la vraie façon d'interagir d'un texte avec un dessin, et tout ça le long de plein de belles pages à l'italienne.

(Attention, y en a beaucoup !)










Daniel Clowes, Mister Wonderful, Pantheon Books & éditions Cornélius (avec l'aide de Barbara Le Hin & Emilie Le Hin)


Alors, attention, révélation !

J'espère que vous êtes bien assis !

La seule différence notable entre un texte et un dessin, c'est que, quand on lit un texte, cela signifie que quelqu'un s'adresse à quelqu'un d'autre !

Je sais !

Quel choc !

J'avais prévenu !

Je vais arrêter d'utiliser des points d'exclamation, ça va devenir lourd !

SI JE RÉSUME...

Quand il s'agit d'un narratif, en général, c'est l'auteur qui nous parle. (« Au fait, je te l'avais pas dit, petit lecteur fébrile, mais la peur étreint le cœur de Philip Mortimer... Hé oui !... Dingue, non ? »)

Quand il s'agit d'un phylactère, en général, c'est un personnage qui s'adresse à un autre personnage. (« Salut Françis, ol'buddy, comment vas-tu depuis que nous avons découvert l'Atlantide ? » « La routine, Philip, sacré vieux coquin de mon cœur, la routine... Je m’apprête à aller au japon pour lutter contre une armée de robots à ton effigie. » « Rien de bien alarmant, donc... » « Que nenni, vieille branche. »)

NE ME FAITEs PAS DIRE CE QUE JE N'AI PAS DIT.

(Dans le cas du dessin, bien sûr, il nous communique un message, mais de manière indirecte, par la représentation, non pas par une interpellation, non pas par un discours direct.)

NE FINASSEZ PAS ! VOUS VOYEZ BIEN CE QUE JE VEUX DIRE !

Il y a pourtant un cas particulier pour lequel le texte et le dessin se rejoignent : le moment où ce que dit le texte est moins important que ce qui est caché sous les mots et que l'on comprend intuitivement (le rythme du texte, sa position dans l'image, la façon qu'il a d'interagir avec l'image en disent plus que le sens intrinsèque du texte).

ALLONS BON...

En général, à ce moment, le texte devient une composante à part entière de l'image et de la case (et non plus un truc un peu à part qui se lit différemment d'un dessin). Le texte aide le dessin, le dessin aide le texte. Le texte fait partie du dessin, le dessin fait partie du texte. C'est la symbiose !

PRENONS UN EXEMPLE :

Oh ! My ! God !

Un exemple soft (pour le moment).

Dans le cas de cette case, le texte amplifie sa signification par la répétition (le personnage ne peut penser à rien d'autre), par l'empilement de la même phrase (l'esprit du personnage sature) et par le point d'exclamation à la fin de la troisième phrase (la panique s’accroît de plus en plus).

Avec l'image, on comprend que le personnage angoisse. Avec la répétition, on comprend que c'est le bordel dans sa tête et donc qu'il stresse encore plus qu'on pourrait le croire.

Le dessin veux dire « Fichtre ! », le texte veut dire « Nom d'un ptit bonhomme ! », la répétition du texte veut dire « Je panique et je n'arrive plus à me concentrer. » Le sens du texte (assez pauvre) est moins important que sa répétition ou que le point d'exclamation.

C'EST DONC LA PANIQUE.

Ce que vient confirmer la suite :

« Ouha, pinaise, la bonnasse ! » 
(De l'intérêt de ne pas pouvoir lire dans les pensées des gens à un premier rendez-vous.)

La grande case veut dire que le personnage est tout tourné vers la découverte de cette charmante femme et les textes nous apprennent que c'est bien le bordel dans sa tête et qu'il n'arrive à rien formuler de très intéressant (« Dis quelque chose ! »). Pour en rajouter une couche, le fait que les pensées du personnage nous masquent les paroles du rencard nous permet de comprendre qu'il est tellement stressé qu'il n'arrive pas à se concentrer sur ce que dit la délicieuse personne en question.

On a donc trois niveaux :
  • Le dessin (qui est gros, qui est grand, qui est un portrait, qui dit que Marshall est subjugué).
  • Le texte (qui est multiple, et qui dit textuellement que Marshall n'arrive pas à se concentrer).
  • Le texte combiné au dessin (qui se place sur la bulle et nous dit que Marshall est tellement peu concentré qu'il n'entend même pas ce qu'on lui dit).

Cette « focalisation interne » dans la tête de Marshall (avec utilisation combinée des textes et des dessins) se décline ensuite sous une autre forme :

LA CONTRE-ATTAQUE DES NARRATIFS JAUNES.

Les classiques bulles de pensées, aussi vieilles que Tintin.

Les moins classiques bulles-de-pensées-mais-en-jaune-et-on-dirait-des-narratifs.

Là, c'est complesque... On dirait un narratif... Pourquoi l'auteur fait ça ?

Parce que c'est plus un commentaire de Marshall sur sa propre vie qu'une pensée instantanée et involontaire. Plus un « En y repensant et tout bien pesé, je suis vraiment une grosse merde. », qu'un « Tiens ! Ça me gratte ! ». La seule différence avec un narratif, c'est que c'est le personnage et non l'auteur qui en est la source. Mais, tout comme le commentaire omniscient de l'auteur qui domine ses personnages, c'est un commentaire qui est hors de l'action, qui surplombe l'action et la commente : « Hum... En prenant du recul, je vois bien que je suis un sacré gros loser tout pourri. ».

Ce que l'on retrouve dans cette case :

La situation et le moral n'ont pas l'air de s'améliorer...

Ici, le cadre jaune est bien une bulle de pensée (une pensée qui se superpose littéralement à ce que dit Marshall) mais c'est également un narratif qui commente la situation en train de se dérouler.

BON. MAIS ATTENTION ! SUBTILITÉ ! IL Y A DES NARRATIFS EN HAUT DE CASE ET DES NARRATIFS EN MILIEU DE CASE !

Eh oui !

Quand le narratif est en milieu de case, il fait partie de l'action de la case, il est englobé dans et par le dessin. Dessin et commentaire sont sur un pied d'égalité. C'est un commentaire qui se passe en même temps que le dessin a lieu.


Quand le narratif est en haut de case, il surplombe le dessin et n'en fait pas partie. Il le snobe. Le dessin et le narratif ne se font pas au même moment. Et même, parfois, le narratif est bien pensé par Marshall alors qu'il a ses fesses vissées sur sa chaise de bar, mais le dessin n'a rien à voir avec la choucroute (le dessin est complètement différent du Marshall assis à son bar).

Apparition d'un souvenir.

Rêve d'une autre vie.

Bouffée dépressive et sentiment de son isolement.

Ouhlàlà, que ça va bien dans la vie de Marshall !

Ces trois cases montrent trois configurations possibles :

Un dessin peu réaliste quand Marshall se met à fantasmer un futur métaphorique de la loose.

Un dessin réaliste MAIS avec des couleurs bizarres (roses) quand il s'agit d'un souvenir (quelque chose qui a eu lieu, mais qui n'appartient pas à son présent les fesses vissées sur sa chaise).

Un dessin réaliste en couleurs tout ce qu'il y a de plus académiques quand il s'agit d'un espoir, ce qui se rapproche le plus de son présent, de sa situation actuelle (s'il est là, c'est bien pour essayer de pécho).

PREMIÈRE REMARQUE.

Il me semble qu'il faut en fait voir les pensées-narratifs-jaunes et les dessins comme deux entités qui se font la guéguerre : des fois, ils vont bien l'un avec l'autre, d'autres fois, ils se superposent et s'affrontent. Une guéguerre qui permet d'illustrer la perte de contact de Marshall avec le réel ou ses difficultés à s'accrocher à la conversation.

Le dessin et la pensée se superposent. Le dessin gagne. La pensée reste dans son coin et n'apporte rien au dessin.

Le dessin et la pensée se superposent. La pensée gagne, cache une partie de la case et vient contredire le sens de la bulle.

Le dessin et la pensée restent dans leurs coins. Le dessin gagne. 
La pensée n'est qu'une illustration de ce que l'on comprend déjà par le dessin, le silence, l'absence de bulle.

Le dessin et la pensée restent dans leurs coins. La pensée gagne. Le dessin n'est qu'une illustration de ce qui est énoncé.

DEUXIÈME REMARQUE.

Il y a une feinte sur les narratifs-jaunes-de-haut-de-case.

Parfois, ils ne restent pas dans leur coin et interfèrent quand même avec le dessin.


Ne vous laissez pas avoir ! Dans ce cas, on est bien dans le cadre d'un « dessin qui englobe un narratif et l'un se superpose à l'autre ».

1) L'auteur est obligé de mettre le narratif en-haut parce qu'il n'a pas de place ailleurs.
2) Il se débrouille pour qu'on comprenne que c'est malgré tout une « pensée en même temps que le dessin »
et pas une « pensée illustrée par un dessin » en faisant se superposer bulle et narratifs.

TROISIÈME REMARQUE.

Ce qui se dit, dans cette bande dessinée, est moins important que la manière de le dire.

On a compris vite fait que Marshall est super flippé, et qu'il se demande bien comment il va pouvoir assurer avec son rencard.

L'important n'est pas tellement qu'il ressasse tout ça, l'important est le mouvement de sa pensée (plus que ce qu'il pense réellement).

Par exemple :


Dans cette page, Marshall rentre de plus en plus dans ses rêveries. On passe d'un espoir plus ou moins réel, à une sorte d'allégorie de sa situation, pour finir carrément dans l'espace.

L’interpellation de la fille avec qui il a rendez-vous va lui remettre presto les pieds sur terre.

 « Qu'est-ce que c'est encore que cette connasse qui vient m'interrompre alors que j'étais tranquillement en train de me faire un petit ulcère ? »

Et le faire angoisser.


Il aura ensuite tout le mal du monde à rester concentrer.


C'est ce mouvement de la pensée du personnage, très précis, très bien décrit, qui nous rend à la fois réel la bande dessinée et le personnage principal (on voit et on comprend les différentes étapes de la pensée de Marshall) (du coup, on se rapproche, on s'identifie, on accompagne très facilement le Marshall en question, ou les pensées du Marshall en question) (on est avec lui) (« vas-y champion », « concentre-toi », « lâche pas l'affaire »).

Un personnage que l'on voit vivre non pas au travers de ce qu'il dit, non pas au travers de la manière dont il est représenté, mais dans l'interaction de ces deux éléments.