vendredi 27 septembre 2013

La bande dessinée est stylée.

(Attention, aujourd'hui, c'est hyper long.)

David B. nous montre ce qu'est le style.

(Mais longtemps.)



David B., Babel, Vertige graphique.

Pierre Michon, qu'on interrogait sur les nouvelles qu'il avait écrites sur des abbés du X° siècle, répondait pour se la jouer : « Tous ces récits sont autobiographiques, qu’est-ce que vous croyez. ». (Il est comme ça, Pierre Michon, il se la pète.) (Mais il a raison.)

Parce que, fondamentalement, n’importe quel récit, n’importe quelle histoire, du moment qu’elle est réalisée de manière à développer une voix propre (autrement appelée « un style », une manière à soit de construire, d'agencer et de raconter un récit), devient un prolongement de l'auteur. La personnalité de l'auteur se met à irriguer son récit et à déteindre sur icelui. Le style rend donc le récit plus vivant. Le style rend le récit meilleur. Voilà. C'est tout. Fin de la chronique.

OUI D'ACCORD, MAIS C'EST QUOI, EXACTEMENT, LE STYLE ?

Ha bon... Il va falloir détailler alors ?

Parce que, le style, c'est vraiment difficile à définir dites donc...

On va dire que, grosso modo, le style d'un auteur (les choix qu'il fait dans un récit et pourquoi il fait ces choix) (pourquoi tel personnage, pourquoi tel rythme, pourquoi tel action, pourquoi tel phrasé, pourquoi tel dessin), le style d'un auteur, donc, (suivez un peu, elle est pourtant pas longue, cette phrase) le style d'un auteur, enfin, c'est un peu comme sa manière de s'habiller (des habits dans lesquels il se sent bien).

MAIS POURQUOI SE SENT-IL BIEN DANS CES HABITS ?

  • PARCE QU'IL A VU QUELQU'UN D'AUTRE PORTER CES VÊTEMENTS ET QU'IL S'EST DIT QUE ÇA LUI IRAIT BIEN.

Hergé et tout son studio, Tintin en Amérique (deuxième version), Casterman

Ted Benoît, Ray Banana - Berceuse électrique, Casterman

Parfois, quand on rencontre quelqu'un que l'on trouve beau, grand, fort et intelligent, on se dit qu'on aimerait un peu lui ressembler. Et, parfois encore, on se dit qu'on aimerait bien lui ressembler physiquement. C'est un peu idiot. On sait que c'est superficiel. Mais on a l'impression qu'en se mettant dans les mêmes chaussures que la personne en question, on va voir le monde comme lui. Et que ce monde a pas l'air dégueulasse.

C'est exactement ce que fait Ted Benoît. Il a ses marottes (l’Amérique des années 50) et ses fascinations (Tintin). Mais il ne copie pas. Non non non. Le ton, l'histoire de Ray Banana (ironiques, plus noirs, plus malsains) n'ont rien à voir avec ceux de Tintin... N'empêche... Il se dit que Tintin, c'est pas mal, et qu'en copiant certains effets il arrivera à capter une certaine maestria narrative. Il part de Tintin pour raconter autre chose, arriver ailleurs.


David B. & Emmanuel Guibert, Le capitaine écarlate, Dupuis.

David B, lui, aime apparemment beaucoup les récits de Marcel Schwob... Et il aime apparemment beaucoup Marcel Schwob... (Un pote à Robert Louis Stevenson, ça, déjà, ça tape.) Donc pourquoi ne pas s'inspirer de la vie et des récits de Marcel Schwob pour écrire le scénario du capitaine écarlate ? Un récit bien à lui (on y reconnaît les marottes de David B, comme l'onirisme, la langueur), mais un récit qui essaye de se mettre dans les pompes d'un mec qu'on trouve classe (l'imaginaire de Marcel Schwob, avec des pirates, des apaches, de l'aventure).

  • PARCE QU'ON SE TROUVE CLASSE DANS SES VÊTEMENTS (PAS PLUS COMPLIQUE QUE ÇA).

Hugo Pratt, Corto Maltese en Sibérie, Casterman.


Hugo Pratt, Corto Maltese - Sous le signe du Capricorne - Samba avec Tir Fixe, Casterman.

Hugo Pratt surpris au naturel, sortant de sa cuisine au petit-déjeuner.

Faut pas oublier non plus que, à la base, ce que le dessinateur va considérer comme un « bon dessin », c'est surtout un dessin qu'il trouve classe. Un dessin « ouuuh, je me suis bien gavé sur ce coup là ». Un dessin « Je me trop kiffe ». (Un habit dans lequel il va pouvoir se mater dans le miroir en enlevant des lunettes de soleil au ralenti pour faire comme dans les films.)

Avec Hugo Pratt, on a carrément droit au personnage principal qui est un avatar en mieux de son auteur. Quand Hugo Pratt fait un beau dessin de Corto, il fait aussi un super-beau dessin de lui-même.

David B., Journal d'Italie, Delcourt.

Le trait qui tremble et qui rend tout plus fragile, la lumière qui devient rasante et alanguit l'image, la composition en disque qui arrondit, adoucit encore le dessin, l'ajout d'une jolie fille et d'un roman (une jolie fille lisant un roman, quoi de plus sexy, je vous le demande), et le fameux David B. en haut et au centre de l'image qui domine et profite de tout ça... Si c'est pas se trouver classe, je ne vois pas ce que c'est...

  • PARCE QU'ON AIMERAIT QUE LES AUTRES NOUS TROUVENT CLASSE DANS SES VÊTEMENTS.

Cette catégorie est un peu l'inverse de la première. Au départ, on admire des gens. On aimerait leur ressembler. Bon. Ensuite, avec cette base, on se forme son propre look. Cool. Enfin, une fois notre style défini, on aimerait bien qu'il soit apprécié par les autres. Validé, en quelque sorte. 

Parce que ça peut paraître une bonne idée de porter un sweat à capuche. Mais c'est encore plus cool quand on croise ensuite des gens qui portent des joggings Sergio Tacchini.

David B., l'Ascension du Haut Mal, L'association.

Le petit David B s'est mis a dessiner des tas de samouraïs parce qu'il aimait ça. Il a continué parce que d'autres aimaient qu'il dessine des tas de samouraïs. Halàlà, le regard de l'autre ! Halàlà, la midinette !






Jean-Christophe Menu, in à B., L'association.

La consécration : quand un autre auteur exprime son admiration pour vous en imitant / pastichant votre style ; et en le faisant bien. Du coup, là, c'est sûr, les autres nous trouvent classe dans ces vêtements (avec ces dessins). On a réussi a se créer une identité (ou au moins un look) (soyons superficiel) qui plaît.

Et pourquoi c'est si important de se faire valider son style (par des auteurs et/ou par des lecteurs et/ou par des critiques (soyons fous)) ? Parce qu'ensuite on peut progresser. Aller de l'avant. Faire évoluer son dessin. Devenir meilleur.

  • PARCE QU'ON S'ÉPANOUIT MIEUX DANS LES VÊTEMENTS QU'ON PRÉFÈRE.

Franquin (et tous ses amis), Lagaffe mérite des baffes, Dupuis.

Franquin a commencé plus ou moins sa carrière avec Spirou (un personnage qu'il n'avait pas créé), a co-inventé Gaston (un personnage au départ assez mal défini), a réussi à le doter d'une personnalité marquée (au fur et à mesure de ses aventures), pour ensuite faire évoluer considérablement son graphisme pour arriver à quelque chose de très détaillé, précis, inventif et brinquebalant (dans l'extrait ci-dessus, les résistances qui sortent de la télévision, le canapé-un-peu-affaissé-très-détaillé-avec-les-coutures, les objets posés sur le buffet, sont de bons exemples). En parallèle de cette évolution dans la forme, Franquin en profite aussi pour évoluer dans son propos et amène Gaston vers un fond qui est propre à son auteur (anti-militaire, anti pub, pro-écolo, etc. ; jouez avec moi et trouvez d'autres sujets abordés par Franquin).

Franquin a amené tout ce qu'il aimait (prouesses graphiques et politique libertaire) pour pouvoir s'épanouir dans sa série, et encore évoluer, changer, inventer.




David B., l'Ascension du Haut Mal, L'association.

Si on aime les histoires de batailles bien sanguinolentes, on dessine des histoires de batailles bien sanguinolentes. Parce qu'on est passionné par le sujet et qu'on le maîtrise à mort et qu'on peut donc s'esbaudir dedans comme un petit caribou. Parce qu'on « s'y sent libre et qu'on peut y déployer ses fantasmes guerrier ». Bref, parce qu'on peut s'y épanouir (d'une manière bizarroïde).

Et la carrière de David B. (qui n'a jamais renoncé à dessiner des soldats et des bastons) (mais a élargi considérablement sa palette) est là pour nous montrer ce qu'est l'épanouissement d'un style. (On peut d'autant mieux mesurer la distance parcourue que l'on peut suivre ce style dès sa quasi-naissance.) (Un peut comme si on avait sous nos yeux les planches de Gaston Lagaffe et les dessins de Franquin réalisés chez ses parents à 5 ans.)

L’ÉPANOUISSEMENT ? KEKSSEKSSA ?

Pour la plupart des artistes, il est important de non seulement se trouver un style, une « voix », mais d'ensuite faire évoluer ce style, l'enrichir, en peaufiner les nuances, en comprendre les différents aspects, les intégrer, favoriser certains aspects qui plaisent plus à l'auteur que d'autres (le côté brinquebalant chez Franquin ; la sensibilité chez David B.). Une fois un style, un look, une identité trouvés, il faut essayer de faire évoluer ce look pour qu'il colle de plus en plus à sa peau, et pour que ce look suive aussi les inévitables évolutions de notre personnalité.

MAIS POUR REVENIR AU CHOIX DU STYLE...

On voit que tout les moyens de se choisir un style sont mêlés...
  1. On se cherche un dessin.
  2. Pour se faire, on va voir ce que font les autres à côté.
  3. On se trouve quelque chose.
  4. On se le fait valider par les autres.
  5. On est content.
  6. Du coup on s’épanouit dans son dessin et on le pousse plus loin. On cherche de nouvelles choses.
Du coup les gens ne sont pas content et vous disent que c'est pourri et vous vous suicidez, pauvre, seul, et auteur de bande dessinée, c'est vraiment la loose. Ha non, pardon, faut pas dire ça.

Du coup on repart dans une phase de recherche d'un nouveau graphisme, puis d'une validation, puis d'un épanouissement.

Et patati et patata.

C'est encore une fois bébête, mais la reconnaissance permet de valider la démarche artistique et d'aller de l'avant. De faire progresser son dessin.

(« Ok, la capuche, c'est fait, maintenant que je suis dans un groupe je vais essayer de remonter une jambe de pantalon. » « La prochaine fois, j'essaye le : « Hé mam'zelle, vous savez que ton père c'est un voleur?... Parce qu'il a pris les deux plus beaux yeux du ciel et il.. et... il les a mis où ? Attends, je crois que je me suis gouré... » .»)

David B., Babel, Vertige graphique.

J'AVAIS DIT QU'ON FAISAIT UNE PAUSE ?

C'EST PAS UNE MAUVAISE IDÉE

ON SE DIT A LA SEMAINE PROCHAINE ?

ON SE DIT A LA SEMAINE PROCHAINE.

BISOU.

(RÂLEZ PAS. JE VOUS AVAIS DIT QUE ÇA ALLAIT ÊTRE SUPER LONG.)

(ATTENDEZ, C'EST TOUT PENSÉ, LE BAZAR. CE COUP-CI, C’ÉTAIT POUR ESSAYER DE VOIR COMMENT ON SE TROUVE UN STYLE. LA PROCHAINE FOIS, CE SERA POUR ESSAYER DE COMPRENDRE POURQUOI CE STYLE LÀ ET PAS UN AUTRE. SI C'EST PAS DE LA CÉSURE MÛREMENT RÉFLÉCHIE, JE SAIS PAS CE QU'IL VOUS FAUT.)

3 commentaires:

  1. Réponses
    1. Euh... Hmmm... Euh... Bin... De rien... Je suppose... (Rougit un peu.)

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  2. Un autre sujet abordé par Franquin : l'anticléricalisme. Dans ce strip on voit un évêque faire un lancer de javelot avec sa crosse...

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