jeudi 24 janvier 2019

Des tas de bandes dessinées : Moebius - Arzach

Aujourd'hui, on dit zut à la culture.




Arzach.

LA CULTURE.

Un jour, un mec a dit : l'art, c'est toujours la critique de la culture, et j'ai trouvé que c'était pas con, comme idée.

L'art, c'est un truc nouveau, que personne n'a vu venir, et qui sort d'on ne sait pas bien où. Certains aiment, sans savoir s'ils ont raison de le dire, d'autre n'aiment pas, sans être sûr de ne pas dire de conneries. On analyse, on discute, on argumente, on coupe les cheveux en quatre, et, au bout d'un certain temps plus où moins long, on y voit clair. On sait si c'est de la merde, si c'est génial, ou si c'est juste médiocre et qu'on peut l’oublier tranquilou (ça s'appelle le travail critique).

Les œuvres artistiques réussies quittent à ce moment les rivages torturés de l'art et rejoignent ceux non moins complexes de la culture. Ce sont des œuvres qui ont été validées (par le temps) et expliquées (par les gens qui se sont pris le choux dessus), dont on connait alors plus ou moins le mode d'emploi. 

Illustration utilisée comme métaphore de l'oeuvre quittant les rivage torturés de l'art.
(Oui, je savais pas où foutre cette image mais je la trouvais jolie, est-ce que ça pose problème à quelqu'un ?)

Puisqu'on connait leurs modes d'emplois, tout le monde peut les comprendre, et elles rejoignent le corpus culturel géant qui nous sert à tous pour discuter avec nos contemporains, surtout à la machine à café, quand on a épuisé les sujets sur le temps qu'il fait (du coup, on va se mettre inévitablement à parler soit de game of thrones, soit de the walking dead) (ou de harry potter, quand on est vraiment chaud comme la braise et qu'il y a eu une rediff la veille sur Chérie25).

Le garage hermétique.
Une oeuvre qui est à la fois une parodie de récit d'aventure des années 30, et un truc complètement port nawak.
Un récit d'aventure piraté par la psychée coq à l'âne de Moebius.

L'ART.

Mais, du coup, quand on commence à faire une nouvelle œuvre artistique, si on l'inscrit dans la culture déjà existante, si on imite, décline, s'inspire de ce qui déjà nous environne, on ne va finalement rien créer du tout (exactement ce que fait walking dead en déclinant pour la 254773807ème fois un récit de morts-vivants). On va juste ressasser des trucs existants, ce qui n'aura pas plus de valeur qu'une discussion sur la météo. C'est pas méchant, ça fait passé le temps, on se sent entre gens de bonne compagnie, mais ce n'est finalement qu'une autre façon de se cacher qu'on se fait quand même un peu salement chier.

Donc il faut essayer de construire une oeuvre contre ça, contre la culture, sans la culture.

La faune de Mars.
Une oeuvre qui définit une fausse culture, une culture à côté de l'officielle.
(Ouais, ok, on peut trouver ça un peu capillotracté, mais j'assume.)

Et, là, comment faire ?

Selon moi (et, vraiment, pour le coup, ce n'est que mon humble avis qui n'engage que moi), il y a un truc tout simple : il faut essayer d'exprimer sa personnalité la plus profonde. Ce qui fait vraiment ce qu'on est. Ce qu'on aime, ce qu'on pense, ce qu'on croit vraiment.

Là, du coup, ce n'est plus le groupe (et la culture qui lie le groupe) (et les poncifs qui lient la culture) qui vont s'exprimer, mais des trucs inattendus, peut être un peu bizarres, peut être pas trop comme il faut, mais originaux.

Inside Moebius.
Une oeuvre qui va chercher au fond de soit un peu de nouveau.

LE CACA.

Cette démarche n'est pas très facile, parce que, justement, on a l'habitude de se mettre en mode random-bullshit-conversation-de-base-météo-Jean-Claude-à-la-conta-est-vraiment-lourd-daenerys-elle-joue-pas-super-bien-mais-quand-même-qu'est-ce-qu'elle-est-bonne. Et cette habitude prise reste même quand quelqu'un essaye de créer. Parce qu'en créant, il va se demander « mais alors, mes fidèles lecteurs, ils vont en penser quoi de ce que je suis en train de leur mijoter ? », et il va rentrer dans une sorte de dialogue implicite avec le lecteur. Et il va se dire : « Oh bin non, ça, ça se dit pas, je vais le garder pour moi. Ça non plus, ça se dit pas. Ni ça. Ni ça. Bon bin il reste quoi à dire alors ? Je vais leur parler de Daenerys. Tout le monde aime bien Daenerys. » Et boum ! Il va se mettre à dessiner une histoire d'héroic-fantasy à base de fille en maillot de bain qui chevauche des dragons et (spoiler alert !) ce sera de la merde.

Non ! Faut pas faire ça ! (Si vous hésitez, franchement, c'est mon conseil du jour : ne faites pas de la merde (la merde, c'est caca).) Il ne faut pas rentrer en dialogue avec les lecteurs. Il faut rester tout seul dans son coin et se demander ce qui nous plait vraiment en nous, et c'est tout. Il ne faut pas se demander ce qui est acceptable de dire, penser ou dessiner. Il faut raconter ce qu'on a envie, quoi qu'on ait envie.


Le bandard fou (en même temps, c'est écrit dessus) (essayez de suivre, quand même).
Une oeuvre qui dit non au bon goût. Mais qui est bien parce que personnelle.

MOEBIUS.

Et c'est exactement ce qu'à fait Moebius tout au long de sa vie (enfin presque tout au long de sa vie) (au début, il était un peu plus dans les clous, et puis à partir d'un moment, il s'est mis à se lâcher, et ne s'est jamais arrêté).

Il est resté dans son coin. Des fois il faisait des trucs qui se vendaient par camions. Des fois, personne ne savait même que ça existait. Des fois, on aurait aimé que personne en sache que ça existait. Il s'en foutait.

Il a continué à exprimer ce qu'il était, et ce qu'il était a changé tout au long de sa vie. Du coup, son oeuvre s'est modifiée tout au long de sa vie. Elle s'est constituée petit à petit de science fiction fun, de science fiction introspective, de science fiction perchée, de livre à la première personne, d'érotisme, d'histoires longues, d'histoires courtes, d'illustrations, d'illustrations que-si-tu-les-regardes-toutes-les-unes-après-les-autres-bin-on-dirait-une-bande-dessinée-quand-même, de création d'univers.





40 jours dans le désert B.
(Oui, l'un des plus grand génie de la bande dessinée a basé tout son univers sur un jeu de mot immonde.)
(Si c'est pas une preuve qu'il en avait rien à foutre de ce que dirait les autres, je sais pas ce qu'il vous faut.)

Toutes sortes de choses qu'il a réussi à faire parce qu'il avait compris ce qui compte vraiment : envoyer chier tout le monde, et exprimer ce qu'on est, au plus profond.


Auteur observant du coin de l’œil ce qu'il a au plus profond pour savoir ce qu'il va exprimer (allégorie).

5 commentaires:

  1. Jacques Boudineau24 janvier 2019 à 22:40

    C'est vraiment l'éclate de lire vos posts. Ca n'a pas l'air d'y toucher et pourtant vous visez juste à chaque fois. Léger, drôle, futile, précis, juste, intelligent, anti-conformiste ... Vous me ravissez.

    RépondreSupprimer
  2. C'est beau !
    Et la problématique développée est cruciale : combien de suicides créatifs ont lieu chaque jour, sur l'autel de la sur adaptation et de l'auto dévalorisation ? Probablement des centaines. Des centaines de millions.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. En général, les auteurs se perdent tout seul, en faisant tout et n'importe quoi pour trouver la clef du succès.

      La chance de Moebius et que le succès de Blueberry (et plus tard de l'incal) l'a mis à l'abris de se genre de cogitage et lui a permis de se libérer.

      Supprimer
  3. Merci beaucoup pour cet article ! Je peux même témoigner qu'en tant qu'auteur BD débutante que je n'ai jamais été aussi bien dans ma peau qu'après avoir quitté définitivement les réseaux sociaux, m'isolant dans ma caverne, seule face à mon travail.

    RépondreSupprimer

Exprimez vous donc...