jeudi 22 mars 2018

la bande dessinée cultive le mystère.


NOUS AVIONS ENCORE NOS ILLUSIONS. NOUS ÉTIONS JEUNES.

La semaine dernière, j'essayais d'évoquer la subtile construction d'une page, un compromis entre la composition de chaque case et la narration qui organise le passage d'une case à une autre.






Tout est parfaitement clair, je pense.

Ok. C'était super. Je dis pas du tout que j'ai écrit n'importe quoi. Je ne renie rien. J'assume mon passé. Seulement, j'ai un peu menti par omission. Parce que, ce que je n'ai pas dit, c'est que la planche, en elle-même, est un énorme tue-l'amour pour le lecteur. C'est ce qu'il va voir dans son ensemble, et du premier coup d’œil. Ce n'est pas comme au cinéma, dans lequel on voit un plan, puis un autre plan, puis un troisième. Non. Là, on voit, tout d'un coup, toutes les cases d'une même page (et même, d'une même double page), qui nous donnent déjà, malgré nous, des informations sur la future tournure des événements. Pour l'auteur, faire du suspense, surprendre le lecteur, est quasiment impossible.

LUI EMBROUILLER LA TÊTE.

Pour répondre à ce problème, certain auteurs essayent de noyer le poisson. C'est à dire qu'ils font une construction de page si tarabiscotée, bizarroïde, et imbitable que, effectivement, le lecteur ne pourra pas, simplement en survolant la page d'un regard distrait, comprendre de quoi il s'agit. Il faudra qu'il lise la page pour de vrai pour comprendre un peu le sens de cette histoire.

Je dis pas qu'on comprend rien, je dis que, au premier regard, faut être super balaise pour deviner de quoi il s'agit. 
(D'ailleurs, Druillet a appelé cet livre Chaos. Ça veut bien dire ce que ça veut dire.) (Même si je suis pas sûr de quoi.)

Deux inconvénient à cette méthode :
  • des fois, en lisant pour de vrai, c'est pas plus clair qu'au moment de la lecture superficielle, on rame (sur le sable) (avec des petites cuillères) (rouillées) ;
  • c'est une construction chaotique qui ne peut coller qu'à un récit, un univers, des personnages chaotiques (on adaptera pas les dialogues des carmélites de Bernanos de cette manière).

LE FAIRE VOYAGER.

L'autre possibilité est de changer si souvent de lieu, de personnages, ou de sujet que le lecteur ne retrouve aucun point de repère fixe dans la page et donc aucun point d'appui pour essayer de deviner ce qui va s'y passer. « Dans une case, on est a Moscou avec un gang de braqueur, deux cases plus loin on est à Macao avec des éleveurs d'éléphants, trois cases encore et on est à Paris avec Alain Souchon. Punaise, laisse tomber, je comprends rien à ce qui se passe, il va falloir que je lise en détail cette page pour comprendre de quoi ça parle. »

Jean-Michel Charlier et Jean Giraud (couleurs de Evelyne Tran-Lê ?), 

C'est tout fouillis
(Bon, je m'étend pas sur cette planche plus que ça parce que je l'ai déjà fait .)
(Je vais commencer à faire des posts avec que des liens vers d'autres posts, ça va me reposer un peu.)

Bon, bien sûr, il faut avoir un récit qui permette de faire ce zapping rapide. Un récit rapide et riche, donc. Un scénariste doué, donc. Petit tuyau à nos amis auteurs : si vous voulez faire ce genre de narration, soyez doués. Comme Charlier. Bonne chance.

NE RIEN LUI CACHER.

Enfin, en allant dans le sens exactement inverse de ce qui a été décrit précédemment, l'auteur peut également décider de ne pas cacher le sens d'une scène mais de gommer toute aspérité dans la page pour qu'il ne puisse pas en comprendre les subtilités.

Dans la méthode précédente, on allait très vite, en changeant souvent de sujet ou de situation, mais sans rien développer. Ici, au contraire, on développe. On développe tellement que ça nous prend une page complète pour décrire une seule action.

L'auteur ne veut pas faire de retournement de situation action-révélation-nouvelle action ? Alors il va simplement développer une action sur toute la page. Le lecteur, en la survolant du premier regard va voir de quoi il s'agit, mais il ne sera pas beaucoup plus avancé. Il ne va pas se divulgâcher (j'essaye de nouveaux mots de jeunes-vieux) (enfin,des mots de vieux, quoi) plus que ça les futures actions dans la page, parce que ce seront un peu toujours les mêmes. Il comprendra le sens de la scène, mais pas ses subtilités. Donc il sera encore intéressé de la lire pour comprendre ce qui s'y joue plutôt que de rester à la surface des actions.

 

 

Ici, chaque page a une ambiance différente, la première explore un salon cosy avec tout son décorum (ambiance marron), 
la seconde enquille les dialogues (ambiance jaune), la troisième accélère en changeant d'ambiance à presque toute les cases, 
la dernière est une longue fuite dans la nuit (bleue).

LUI PARLER..

D'une toute autre manière, c'est ici que rentre en scène les dialogues (ou les narratifs) (tout ce qui relève de l'écrit plutôt que du dessin) (le seul élément qu'on ne percevra pas du premier coup d’œil dans la page, et qui peut échapper au lecteur avant qu'il le lise réellement). Si les auteurs veulent absolument cacher une information au lecteur alors ils doivent la cacher dans un texte plutôt que de la montrer dans un dessin. Dans un dessin, forcément, le lecteur va se gâcher la surprise. Dans le texte, le lecteur découvrira l'information en question pile au moment prévu par les auteurs.

Avant de lire cette page, on ne peut pas vraiment comprendre la situation. 
Seuls les dialogues de Valérian nous permettent de comprendre les tenants et les aboutissant du bazar.

Le texte a donc un énorme impact sur le déroulé et le rythme du récit. Il peut faire changer du tout au tout une ambiance de lecture en apportant une information qui modifie ou simplement définit le sens ou l'ambiance d'une action. Le texte, en bande dessinée, joue le même rôle que la petite musique stressante au violon qui arrive quand la jeune fille frêle et douce explore une maison reculée, construite sur un ancien cimetière indien. Ça change tout d'un coup totalement notre manière de voir la scène, alors que rien d'autre, ni la manière de filmer, ni les décors, eux, n'ont changé.

Le rythme narratif, la vitesse et le nombre d'informations nous parvenant, les moments où ils nous parviennent, tout cela est géré par le texte. On ressent l'histoire (ses ambiances, ses personnages, ses actions) grâce au dessin. On comprend le sens caché de l'histoire grâce au texte.

SAUF QUAND IL N'Y A PAS DE TEXTE.

Les bandes dessinées muettes n'organisent pas un récit à révélation, d'attente, d'exploration, de découverte, de retournement de situation. Rien n'y est caché, parce que rien ne peut y être caché.

S'en est même le concept : les personnages y sont des livres ouverts et leur compréhension peut nous être directement donnée par le dessin, qui représentera leurs comportements, leurs attitudes, leurs réactions de manières si précises que nous comprendrons tout de suite de quoi il retourne.

C'est exactement ce qui se passe dans Hans. Chaque page est dédiée à la lente et précise description de tous les sentiments qui traverse le personnage dans une situation donnée. L'exploration d'un moment. À la fin de la page, on fait un petit coup de suspense qui change la donne et on repart dans une nouvelle page qui explore une nouvelle situation.






Alors, écoutez, ça commence à être fatigant, cette ère du soupçon, puisque je vous dit que je ne connais pas ce M. Jérôme Anfré ? La parole d'un homme tel que moi ne vous suffit pas ?

Ceci dit, on retombe malgré tout sur cette notion de relecture.

Dans les bande dessinées parlantes, on survole rapidement la page pour en capter l'ambiance, puis on la relit plus précisément pour comprendre précisément ce qui s'y passe, le déroulé des actions.

Dans les bandes dessinées muettes, on survole rapidement la page et on arrive précisément à comprendre ce qui s'y passe, puis on la relit plus précisément pour comprendre précisément comment le personnage a vécu cela, le déroulé des émotions. On relira encore et encore la page pour scruter la moindre variation dans les traits qui trahirait les infimes mouvement dans la sensibilité des personnages.

La lecture approfondie nous permet de comprendre ce qui se cache derrière la surface.

D'où cette envie très commune de relire et relire encore une bande dessinée. Pour la connaître toujours mieux.

1 commentaire:

  1. La question du survol graphique est embêtante : ça amène à des incompréhensions genre f'murrr il se passe rien, c'est pas drôle. Ou même Valérian qu'on peut lire en 20 min. en se disant à la fin, mouais c'est pas grand chose finalement...
    Et inversement, il faudrait parler du texte qui phagocyte l'image : on peut lire XIII ou un Blake et Mortimer en sautant seulement d'une bulle à l'autre.
    Et donc comment fait un auteur pour s'assurer de la complétude de la lecture de son lecteur ???

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