jeudi 25 janvier 2018

La bande dessinée est pleine de méchants.

J'ai essayé d'expliquer la semaine dernière que, à mon sens, si on sait à quoi pense le personnage, inéluctablement, on va se rapprocher de lui. On va commencer à articuler une sorte de dialogue amical avec lui.

C'est pour ça que, la plupart du temps, les méchants sont d'illustres inconnus dont on ignore les pensées. Pourquoi sont-ils si méchants ? Parce que ! Ça va pas plus loin que ça. Cela permet à la fois de les mettre à distance du lecteur, de les réduire à une espèce de concept (le gars qui empêche le héros d'être heureux, rien de plus qu'un obstacle, une sorte d'objet), de ne pas s'y attacher, et de ne presque pas s'en préoccuper.

Si on en tue un dans le tas, on saura même pas dire lequel c'était.

NAZISME ET JOIE DE VIVRE.

C'est par exemple tout le concept des nazis chez Indiana Jones. Ils ne sont pas là pour jeter un voile de douleur sur une œuvre de divertissement en rappelant l'ombre pesante de la Shoah. Ils sont là parce qu'ils représentent le mal absolu (en plus, en général, ils parlent très forts et sont touts rouges, ce qui ne les rend pas plus sympathiques, si on veut mon avis) (les nazis ne font aucun effort) et que le spectateur ne va pas commencer à essayer de s'identifier ou de comprendre les nazis. Il n'en a rien à foutre, et il va bien rigoler quand Spielberg va les faire passer sous des camions, sous des chars, à travers les hélices d'un avion, les faire fondre, ou leur donner des coups de poings.

Je crois qu'on est tous d'accord : les nazis, c'est rigolo.

Le concept est juste de construire des personnages les plus éloignés émotionnellement des spectateurs, pour en faire ensuite n'importe quoi sans que ça ne le touche une seule seconde.

ET SI LE MÉCHANT PENSE ?


Quand on est face à un méchant qui pense, notre petit cœur est mis à rude épreuve. On ne cessera d'osciller entre une compréhension de ses actes, et un condamnation de ceux-ci. Grosso modo, on passera notre temps à se dire : 
« mais pourquoi il fait ça, pourquoi il fait çaaaaa  ? Fais pas ça, bon sang. Reprends toi, tu vaux mieux que ça. Tu es capable de te reprendre. Moi, je crois en toi. Je suis sûr que la prochaine fois tu trouveras un moyen de faire mieux. » nous plaçant finalement continuellement dans dans la peau de la mère d'Éric Zemmour.

Les scénaristes peuvent utiliser cette figure de méchant-pensant pour humaniser brièvement un personnage et nous faire de la peine lorsqu'on prend conscience qu'il y a un cœur qui bat derrière toutes ces armes pointues, ces sourcils froncés, et ces névroses œdipiennes. Cela arrive en général pas loin de la fin, juste avant que le méchant ne disparaisse, pour que sa mort compte pour le lecteur. Il se dit : « ok, c'était une raclure, mais quand même, ahlàlà, s'il avait pas vu sa mère toute nue à 12 ans, tout ceci ne serait pas arrivé ; quel gâchis ; c'était un homme, après tout, rien qu'un homme... ».

Voilà pourquoi le méchant dans James Bond parle pendant des heures après l'avoir capturé au lieu de juste le tuer en cinq secondes et passer à autre chose. (Goldfinger, par exemple, est un des méchants les plus appréciés de l'univers de Bond et un de ceux qui parle le plus. Coïncidence ? (Non.))

ET SI LE MÉCHANT PENSE BEAUCOUP ?

Le scénariste plus vicieux va faire penser son méchant durant tout le bouquin. Dans ce cas là, on se retrouve presque toujours dans une configuration morale qui est de savoir jusqu'où le personnage peut pousser le bouchon sans qu'on le trouve révoltant, allant jusqu'à l'excuser (on va lui pardonner plus qu'à un nazi random, parce qu'on le connaît, qu'on connaît ses motivations, qu'on sait expliquer son comportement). La question sera : « jusqu'à quel point ? ». Les scénaristes testent nos limites, en quelque sorte.


Plus Tome et Janry font parler Cortizone, plus on va commencer à comprendre ce type et à se rapprocher de lui. 
Presque à vouloir qu'il réussisse son coup. Presque. 


Et quand il fait son gros boulet et foire tout ce qu'il fait, au lieu de s'en foutre, il nous peine.


Et d'ailleurs, puisqu'on est sur Spirou, à votre avis, pourquoi Spip parle ? Hein ?
Bin pour que les lecteurs se sentent plus proche de lui, bien évidement.

Ceci dit, attention, quand je dis « parler », je devrais plutôt dire « s'exprimer ». 
Parce que le coup de se rapprocher du lecteur, ça marche très bien en onomatopées aussi.


Bref, si ça marche avec un singe jaune, ça marchera aussi avec un méchant.

MAIS ALORS ATTENTION ÇA DÉPEND QUAND MÊME DU DEGRÉ DE MÉCHANCETÉ.

Quand un méchant pète le rétro d'une bagnole parce que son conducteur l'a klaxonné pour rien, juste pour montrer qui est le plus viril, là, on l'envie un peu, et on se dit que nous aussi on aimerait bien péter des rétros, des fois.

Des fois, faut bien avouer, ça fait du bien par où ça passe.

Par contre, on pense rarement : « ah tiens, moi aussi, hier, quand j'ai commandé un café et qu'on m'a apporté un déca, ça m'a un peu rendu chonchon et, en mesure de rétorsion, je suis resté assis tout seul en pensant que la vie est trop injuste j'ai cramé tout le quartier, vendu en esclavage les survivants, et fondé un empire nazi sur les cendres encore chaudes ».

Tout est une question de dosage.

Qu'est-ce qui est mal-mais-acceptable-ça-va-y-a-pas-de-blessé et qu'est-ce qui est mal-non-ça-se-fait-pas-de-faire-exprès-de-provoquer-un-bourrage-papier-avec-un-yorkshire (même si c'est rigolo) ?

ET SI LE MÉCHANT PENSE BEAUCOUP TOUT EN FAISANT DES TRUCS GENTILS (ÇA SE COMPLIQUE) ?

Il y a effectivement une autre figure de style assez vicieuse, qui est celle de la Task Force (popularisé ces derniers temps sous la forme du film Suicide Squad) : on prend des méchants, très méchants, dont on a jamais douté de la méchanceté (en l'occurrence, avec Suicide Squad, des méchants de Batman, Superman, Flash, etc.) et on leur fait vivre une aventure pour sauver le monde, comme s'ils étaient gentils.


La suicide squad originelle. C'est moins euh... C'est plus... C'est différent.

Alors, là, non seulement ils pensent, non seulement ils se rapprochent de nous, mais en plus ils font des trucs gentils (des fois) (un peu) (quand ils sont bien lunés)... La frontière gentil/méchant est encore plus floue et le yoyo moral encore plus dantesque (quand c'est réussi) (ce qui est rarement le cas) (et ce qui ne l'est jamais au cinéma). Est-ce qu'un méchant qui est méchant avec un autre méchant, cela ne devient pas un gentil ?

A ma connaissance, ce système a été porté à son pinacle par Grant Morrison dans sa série les invisibles.

ALORS, ATTENTION SPOILER !

Les invisibles est un groupe de super-héros britannique, un peu punk, assez cool, qui doit lutter contre une grosse organisation tentaculaire qui représente grosso modo le conformisme moral et économique thatchérien (on est comme ça, dans la bande dessinée, on est tout politisé et on veut dénoncer) (du moment que ça demande pas de sortir dans la rue ou de rencontrer des gens, l'auteur de bande dessinée est souvent très remonté).

Les invisibles passent  donc leur temps à tuer des tas de soldats ennemis, un peu comme des jedi tuent des troopers blanc. Ils ont des masques, ils sont sans visages, ils sont à classer dans la même catégorie que les nazis chez Indiana Jones, c'est à dire qu'on en à rien à faire et que c'est très bien comme ça.



SAUF QUE Morrisson écrit ensuite tout un chapitre sur la vie d'un de ces troopers, comment il est amené à choisir ce métier juste parce qu'il est pauvre, seul, désespéré, et que ça lui fera toujours un repas chaud. Pendant tout un épisode, on est amené à connaître toutes les pensées de ce pauvre gusse, de sa toute prime jeunesse et sa vie adulte compliquée, pour comprendre à la fin qu'il s'est fait buté dans l'épisode d'avant, et qu'on avait à peine fait gaffe à ça tellement on n'en avait rien à faire.

C'est le principe inverse des nazis rigolos. On donne une vie, des pensées, une jeunesse à un personnage. Il compte. Il a même était un bébé tout mignon, regardez.

Alors, là, dans le genre retournement de situation, je peux vous dire que ça fait bizarre, et que les questionnements moraux sont décuplés.

ALORS, ATTENTION PLUS SPOILER !

ET SI LE GENTIL EST MÉCHANT ?

La dernière carte à jouer pour un scénariste dévergondé est de prendre un personnage gentil, qui a des buts nobles, qui œuvre pour le bien, mais qui se trompe, et qui fini par commettre des atrocités en se disant que la fin justifie les moyens.


Tant il est vrai qu'être méchant, ce n'est pas très gentil...

Dans ce cas là, on joue sur la perte de repères, mais encore plus à fond que dans la configuration précédente. Pour le coup, on comprend pourquoi le personnage veut faire ce qu'il veut faire, on valide ses buts (ce qu'on ne faisait pas dans le cas précédent), mais on est retourné comme une crêpe par ses actions, qui mènent à la pire des catastrophes. Le scénariste ne cherche plus vraiment à construire un personnage intéressant, mais à travailler directement le lecteur à grands coups d’ambiguïtés (ce n'est plus une question de morale (le bien, le mal, tout ça) mais une question d'éthique (quelles entorses à la morale peut-on se permettre dans l'action)).

Avoir du courage, ou se comporter en connard ? Comment savoir ?

C'est donc une très noble démarche, créative et inclusive (une dynamique s'installe entre le personnage, le récit, et le lecteur), novatrice (on pose des questions éthiques plutôt que morales), porteuse de sens, et vicieuse. Que des qualités.

ATTENTION A NE PAS SE PRENDRE LES PIEDS DANS LE TAPIS QUAND MÊME.

Cette mécanique peut très vite retomber à plat si on traite le sujet de manière superficielle, sans montrer à la fois les actes (méchants) et leurs conséquences pour le personnage, son entourage, et même le monde entier. On se contente alors de montrer un personnage qui n'a de gentil plus que le titre, faire des actes dégueux simplement pour le fun et le plaisir de se dire que c'est cool d'être transgressif, sans que jamais ça ne porte à conséquence (on tue des gens, mais on ne s'intéresse pas au gens qui pourrait être triste pour eux, on dégâts collatéraux, et on passe vite à autre chose (tuer d'autres gens)).

C'est un peu ce qu'on peut reprocher à Lobo, qui pète tout sur son passage, ok, c'est rigolo, mais ça va pas bien plus loin. 
(Ceci dit, les chants de Noël, y a quand même pas grand chose de pire dans l'existence, ça fait du bien quand ça s'arrête.)

Tout le côté éthique (comment agir bien ? Est-ce qu'agir mal ne peut pas avoir de bonnes conséquences et inversement ?) est évacué pour juste montrer que c'est cool d'être violent et qu'on va pas se prendre le chou plus que ça. On en reste à l’exutoire, quand on est content de voir un personnage péter le rétro de la voiture d'un bœuf, juste parce qu'on a eu envie de faire la même chose la veille en rentrant du boulot. C'est pas non plus le crime du siècle, ça n'est que de la fiction, comme on dit. M'enfin, c'est pas très finaud quand même.

SURTOUT, IL Y A PIRE !

Cette démarche peut être interprétée comme une sorte de relativisme moral qui permet de tout mettre sur le même plan. Un auteur veut énoncer l'idée que la fin (morale) ne vaut rien si les moyens mis en œuvre pour y arriver ne sont pas éthiques, et un gros con qui passait par là peut tout interpréter de travers et se dire : « et bin, puisque le gars, en essayant de faire le bien, il a fait le mal, autant ne pas essayer du tout de faire le bien, ça nous épargnera des efforts inutiles ».

Vous me direz : « il faut quand même en tenir une sacrée couche pour faire une interprétation aussi débile d'un récit qui essaye justement d'expliquer qu'il faut renforcer l'éthique dans l'action ».

Et bien, justement ! Ceux qui, au cours des années 80 et 90, se sont mis à faire ce genre d'interprétation sont BHL, les économistes, et les journalistes. Autant vous dire que, côté débilité, on est servi (et qu'il y a du rab).

« Et là, je lui dis : mais je suis de gauche ! »
« Tiens ? C'est quoi ce mec avec une tarte à la crème ?»

Et c'est hélas la mésaventure qui est arrivé au grand Alan Moore sur Watchmen.

Ce que nous verrons la semaine prochaine.

mercredi 17 janvier 2018

La bande dessinée est pleine de gentils.

Pour moi, on peut aborder le personnage de deux façons :
  • Soit on sait ce qu'il pense.
  • Soit on ne le sait pas.
Si on sait à quoi pense le personnage, peut importe comment, peut importe pourquoi, on va se rapprocher de lui. Montrer un personnage agir, peu nous chaut. On voit tous les jours des tas de gus agir dans la rue sans en avoir rien à cirer. Mais commencer à entendre ses pensées, et comprendre pourquoi il fait ci ou ça, et nous voilà placés directement dans l'intimité d'un personnage sans qu'on n'ait rien demandé. On va se positionner par rapport à lui, et entrer dans une sorte de dialogue silencieux. « Alors, là, oui, je suis d'accord. » « Alors, là, non, franchement, tu pousses le bouchon un peu trop loin Maurice. » Qu'il soit bon, méchant, soupe-au-lait ou complètement casse-couilles, le fait est qu'on sera à côté du personnage, en train d'essayer de le comprendre. On va devenir une espèce d'ami, de sidekick, prêt à tout pour l'accompagner dans ses aventures.

ÊTRE PROCHE DU PERSONNAGE.

Si, en plus, son quotidien ressemble au nôtre, on sera à ses côtés en train de s'identifier. « Hé ! Moi aussi je prend la voiture des fois ! Comme on est trop frères de voiture ! » « Hé ! Moi aussi je marche dans la rue des fois ! Comme on est trop connectés ! Il se passe un truc entre nous, là, non ? ». Plus on s'identifiera, plus on aura l'impression de vivre des aventures par procuration, des aventures qu'on aurait pu vivre nous aussi, si les circonstances l'avaient permis. Comme si la vie du personnage était parallèle à la nôtre. Celle d'un voisin, ou, encore une fois, d'un ami.

Lapinot est bourré de trucs comme ça : toutes les cinq pages, paf, un petit événement-comme-dans-la-vraie-vie-des-vrais-gens. Qui ne s'est jamais énervé avec un mec qui tracte dans la rue ? Qui ne s'identifie pas totalement avec Lapinot à ce moment là ? (Peut être les mecs dont le boulot est de justement tracter dans la rue, ceci dit...)

ÊTRE ÉLOIGNÉ DU PERSONNAGE.

Si, au contraire, le personnage s'éloigne de nous et vit des choses soit extraordinaires, soit complètement étrangères à notre quotidien (la vie d'un homme préhistorique, par exemple), on gardera cette sorte de proximité intellectuelle avec le personnage et l'impression qu'on peut le comprendre, mais on perdra l’impression qu'on pourrait être lui et lui pourrait être nous. C'est souvent volontaire de la part des scénariste pour construire des personnages over-cools ou méga-surpuissants. Des personnages idéalisés avec lesquels ils n'est même pas question de pouvoir rivaliser.

Corto Maltese est l'idéal de son auteur : il est le personnage que Hugo Pratt aurait voulu être. Un peu plus beau gosse, beaucoup plus romantique, qui voyage tout le temps, et qui tombe toutes les filles (ce qui nous renseigne sur Hugo Pratt : il avait la dalle, il avait envie de se taper tout ce qui bouge). (Imaginons maintenant que Joann Sfar et Hugo Pratt se rencontrent, est-ce que ça fait un trou noir ?)

Corto Maltese, le Harvey Weinstein du début du XX° siècle.

Superman est un idéal : il incarne la bonté.


Superman, franchement, c'est un mec super.

De la même manière, les personnages idéaux sont souvent entourés de personnages beaucoup moins recommandables qui servent d'intermédiaires entre le lecteur et lui (Jimmy Olsen chez Superman, Raspoutine chez Corto Maltese, Christophe Castaner chez Macron) ; des personnages dont les lecteurs sont généralement plus fans, parce qu'ils sont moins distants (ils sont plus comme nous, moins moralement hauts et inatteignables) (Christophe Castaner, par exemple, il a sans arrêt des angines, ce qui explique sa voix grave, moi qui suis sans arrêt malade, ça me le rend sympathique). C'est avec ce genre de personnages qu'on va entretenir ce fameux dialogue lecteur-personnage. Au final, on se rapprochera également du personnage idéalisé, mais avec un degrés de séparation de plus. (Je suis proche de Raspoutine, qui est proche de Corto Maltese, donc je suis un peu proche de Corto Maltese quand même.)


En fait, Corto Maltese, pour rester classe, n'est jamais vraiment moteur de l'action de ses propres aventures. Il se laisse porter par le fil de l'eau, et ce sont les personnages secondaires qui font avancer le bazar. (Ici : Raspoutine arrive, et l'aventure commence.)

Ici : Raspoutine arrive, et l'aventure commence.
(C'était juste pour vous prouver que je raconte pas toujours n'importe quoi.)


ÇA SE COMPLIQUE.

Tintin, c'est encore plus particulier, parce que, certes, Tintin est un idéal sans super pouvoir (il agit toujours moralement exactement comme il faut, traque les méchants, sait faire de l'alpinisme, de la pagaie, monter à chameau, à cheval, piloter un avion) mais c'est aussi, un peu, une coque vide (son visage n'a aucun trait marquant, son appartement est pauvre en déco, on ne connaît rien de sa vie, il n'a pas de copine, etc...). Donc, ce qu'il se passe c'est que 1°) Tintin est un idéal, donc 2°) il se met en place la même mécanique qu'avec Corto Maltese, qui est qu'on va plutôt essayer de devenir ami avec les amis du héros, plutôt qu'avec le héros en lui-même directement, qui a l'air un peu de se la péter. 3°) En l’occurrence, on va devenir ami avec Haddock, qui est rigolo, plein de défauts, lui, pas de soucis, on sait toujours ce qu'il pense, vu qu'il le cri. 4°) On essaye donc de se mettre dans les pas de Haddock, d'imaginer qu'on peut vivre les mêmes aventures que lui et, justement, à côté de Haddock, il y a un jeune gus, même pas sexué, dont on ne connaît rien, on sait à peine où il vit, on sait même pas comment , on peut très bien imaginer qu'il vit comme nous, avec le même style, les mêmes goûts, les mêmes manies, vu que rien ne nous dit le contraire (à part qu'il a vraiment des goûts vestimentaires de merde). 5°) En étant d'abord repoussé par l'idéalité de Tintin, on en vient à marcher à côté de Haddock, puis, en se glissant dans l'image presque vide à côté de lui, on en vient à s'incarner dans Tintin. 6°) Hergé a inventé le personnage à turbo-répulsion-fusion-inversée. Brillant.

De la même manière que Raspoutine est le moteur des aventure de Corto, Haddock (et à peu près tous les autres personnages) sont les moteurs des aventures de Tintin.

C'est assez visible dans cette page, dans laquelle Tintin est finalement assez statique, alors que tout le monde s'agite autour de lui et le traîne par la peau du cou vers les ennuis.

Finalement, Tintin, c'est un casanier qui s'ignore.

ÊTRE ENTRE LES DEUX.

Dans la plupart des cas, les scénaristes vont faire un compromis entre le personnage bon-copain-avec-qui-on-n'a-pas-honte-de-traîner-en-sous-vêtement et le personnage idéal-super-beau-super-cool-super-gentil-qui-mange-bio-recycle-aide-les-petites-vieilles-est-milliardaire-a-su-rester-simple. Dans ce cas là, le personnage sera idéalisé, mais avec quelques gros défauts pour qu'on le sente malgré tout un peu proche de nous. Il va jouer au yoyo avec le lecteur. Un coup on va le trouver trop cool, un coup on va se dire qu'il nous ressemble.

Astérix est râleur, cabochard, il se dispute et se bagarre tout le temps. Bon, d'un autre côté, il est intelligent, part à l'autre bout du monde à chaque fois qu'un gus qu'il ne connaît pas vient lui demander de l'aide, lutte pour le bien, et redresse les torts.


C'est un héros, y a pas de doutes, mais qui peut agir comme la pire des têtes de lard quand il est sur les nerfs. Astérix est un mix entre Tintin et Haddock. 
(Alors que Obélix est plus un mix entre Haddock et Tournesol, le pur sidekick, quoi.)

Gaston est une sorte d'idéal perverti. Il est gentil, il est écolo, il aime les animaux, il recycle, il invente, il construit, il n'aime ni l'armée, ni les chasseurs, ni les parcmètres. Mais il est tellement boulet et feignant que toutes ses qualités deviennent des poids pour ses collègues de boulot. Il devient une espèce de maniaque tellement plongé dans sa bulle qu'il n'arrive plus à voir qu'il nuit aux autres. C'est un héros positif tellement poussé à l’extrême qu'il devient encombrant. 


De cette manière Gaston se rapproche de nous quand on a l'impression d'être un gros lourd dans un groupe et qu'on sert à rien. On a mis tout notre cœur pour faire un fondant au chocolat, qui est trop cuit, tout dur, et qui a dégagé une vielle odeur de cramé dans le four, et en plus un connard arrive avec ses verrines de tiramisu matcha/azuki et sauve la situation. On sait qu'on a un bon fond, mais on se sent un peu merdique quand même. C'est ce côté là qui nous rapproche de Gaston.


Avec ce genre de héros mixte, on en revient (comme au début de ce post) à des personnages plus forts que nous, plus imaginatifs, avec des vies bigger-louder, mais des défauts qui nous les rendent proches, qui favorisent notre identification.


Voilà ce qu'on a envie de faire à Astérix et Gaston, les serrer bien fort dans nos bras, parce qu'ils ont l'air d'être de chouettes copains, aussi boulets et aussi gentils que nous.

ET LES MÉCHANTS ALORS ?

Ouhlà !

Ouhlàlàlàlà !


On verra ça la semaine prochaine.