jeudi 6 avril 2017

La bande dessinée est tout en connivence.

Une erreur scénaristique courante, ces derniers temps, est de faire de l'ironie.

René Goscinny et Albert Uderzo, avec tout un tas d'aventure d'Astérix.

ENTENDONS-NOUS SUR LE TERME « IRONIE »...

1°) Il y a les personnages ironiques.

Le scénariste se dit « la situation que je fais vivre à mon personnage n'est pas crédible », « je vais mettre dans la bouche de mon personnage une petite remarque ironique, une petite marque de distanciation, genre, il vit cette situation mais il n'y croit pas trop, comme ça, il sera dans la même position que le lecteur, comme ça, le lecteur et le personnage seront trop connectés ».

Trondheim (ici, sur Ralph Azam) est un grand spécialiste des personnages toujours un peu distanciés.

Le problème avec ce genre de personnage, c'est quand le scénariste se dit qu'il faut commencer à intéresser le lecteur en faisant comprendre que la situation est dangereuse, et donc en faisant stresser le personnage. On en arrive à avoir un personnage girouette, qui prend alternativement tout par dessus la jambe, puis tout au tragique. Pas super cohérent.

(Ici, Ralph à plus peur d'un gusse que d'un monstre à 6 pattes, mouais...)

2°) Il y a les situations ironiques.

Là, c'est carrément le scénariste lui-même qui dit clairement au lecteur « vous avez raison, la situation n'est pas du tout crédible, mais c'est pas ma faute, c'est juste le personnage qui est complètement con ».


Jolly Jumper qui parle ? Bah non, ça doit plutôt être Lucky luke qui est à moitié dingue.
Lucky Luke plus rapide que son ombre , ha ha, ça doit surtout être son ombre qui est lente alors !
'Tin, vas-y Bouzard ! T'es qui pour te moquer de Lucky Luke ? Prend un flingue déjà, et on verra bien si tu arrives à tirer plus vite que ton ombre ! Après on en reparle.

(Et l'approche de Bouzard ne serait pas mauvaise si ce n'était qu'elle casse ce que je m'en vais décrire ci-dessous.)

LE LIEN ENTRE LE LECTEUR ET L’ŒUVRE.

Tout cela ne sont que des tentatives complètement débiles d'établir un lien entre le lecteur et les auteurs, montrer qu'on est sur la même longueur d'onde, qu'on est trop des copains, et que, donc, fatalement, le lecteur ne peut qu’apprécier un récit écrit par des gens dont il est si proche intellectuellement. La preuve ? Il pense que le récit est pourri, et les auteurs aussi.

Il existe pourtant un autre moyen d'établir une connivence entre le récit et le lecteur. C'est de faire comprendre au lecteur que l'univers décrit comporte des règles, des points marquants, des passages obligés. Puis de répéter souvent ces règles et ces passages obligés.

DE CETTE MANIÈRE, L'UNIVERS DÉCRIT SE RETROUVE CONFIRMÉ SANS CESSE.

Les règles et les événements se répètent et viennent consolider l'univers. Oui, c'est comme ça que ça se passe ici. C'est tellement comme ça, que ça se passe souvent, que ça se répète, que ça revient. Vous aviez pigé le fonctionnement de cet univers. Bin vous l'avez pas fait pour rien, vu qu'il s'y passe toujours la même chose.


Astérix n'est pas simplement un gaulois qui arrive à résister à l'empire romain à lui tout seul. Il arrive même à rejouer Gergovie et à tourner ça en triomphe. Les aventures d'Astérix rejouent sans cesse le principe de départ (gagner contre l'empire, gagner alors qu'on et le plus faible) en le confirmant sans cesse dans de nouvelles configurations (aux jeux olympiques, dans la légion, en Suisse, en Angleterre, etc...)

Obélix ne boit jamais de potion magique ; Assurancetourix se fait toujours attacher et bâillonner durant le banquet de fin d’aventure ; et il y a d'ailleurs toujours un banquet à la fin de l'aventure.

Ou encore : Averell a tout le temps faim ; Joe est tout le temps en colère ; et Lucky Luke s'en va toujours à la fin, dans le Soleil couchant, après avoir gagné.





Il est rassurant qu'Assurancetourix se fasse maltraiter à chaque fin d'épisode. 
Ça veut dire que, malgré l'aventure passée, l'univers d'Astérix reste inchangé, et que, 
dans la prochaine aventure, toutes les règles qu'on a apprises sur cet univers seront encore respectées.

L'univers est sans cesse confirmé par des règles qu'on voit et re-voit et utilise et ré-utilise sans cesse. Et même s'il n'est pas très logique de tirer plus vite que son ombre ou de pouvoir gagner la guerre contre l'empire romain en buvant de la soupe, comme tout le reste se tient et reste cohérent au fil des épisodes, alors tout passe.


Argument d'autorité : Moebius dit la même chose que ce que j'essaye d'expliquer ici. 
C'est donc forcément que ce que je dis est très intelligent !

Et même si on se met à oublier une des règles, dès qu'elle réapparaît, on se souvient « Ah bin oui, c'est vrai, dans les aventures de Bip-bip et Coyote, le Coyote commande toujours des objets de la marque Acme ». 

L'UNIVERS DÉCRIT SE RETROUVE ATTENDU.

Et le mieux, encore, c'est que, quand le lecteur n'oublie pas ces règles, il va pouvoir anticiper les actions des personnages, comprendre le vrai sens de certaines scènes, sans que rien ne soit suggéré lourdement.

On sait que Obélix peut défoncer une patrouille romaine à lui tout seul. On l'a appris dans les albums précédents. Tout peut se passer hors-champ. On comprend sans rien voir.

De Mesmaeker arrive dans les bureaux et on essaye de nous faire croire qu'il va réussir à signer les contrats ? À d'autres ! Vous, qui avez roulé votre bosse, qui comprenez les choses derrière les choses, vous savez que ça va obligatoirement foirer. Vous ne savez pas comment, mais vous le savez. Vous avez un coup d'avance par rapport aux personnages et au récit.

Un truc parfaitement compris par Obion.

C'est vraiment une démarche tout bénef, puisque ça donne l'impression au lecteur qu'il est intelligent et qu'il a tout compris (des fois, il comprend ce qui se passe dans la bande dessinée plus rapidement que les personnages (il sait avant Prunelle que les contrats ne seront pas signés) (pauvre, pauvre Prunelle).

On comprend bien avant les romains qu'ils vont se prendre des baffes. On jubile. Puis on rigole. On rigole presque avant que la baffe ait lieu. On se retrouve complice des auteurs et des personnages, et on se trouve plus intelligents que les romains. 
On se trouve vraiment très fort, quoi.

En plus, ça établit un véritable dialogue avec l'auteur.

COMMENT VONT-ILS FAIRE ?

Parce que, du coup, il se met en place un jeu du chat et de la souris entre le lecteur et l'auteur. Le lecteur sait très bien ce qui va se passer à la fin, mais il ne sait pas comment l'auteur va l'y emmener. Chaque case est l'occasion, pour le lecteur, de se dire : « et c'est maintenant que Batman va révéler qu'il a tout anticipé depuis le début et qu'il a planqué des ciseaux pour couper ses liens parce qu'il avait anticipé qu'on lui confisquerait sa ceinture pleine de gadgets ! Ah... Non... Bon... alors c'est maintenant qu'il appuie sur un bouton du panneau de contrôle qui appelle le batplane et qu'il s'échappe avec ! Ah bah raté... Bon bon... Et c'est maintenant ! »


On croit que, comme d'habitude, Astérix va gagner la course. Astérix gagne toujours. Et puis Astérix gagne pas. Catastrophe. Mais Astérix gagne toujours ! Qu'est-ce que vous me faites, René et Albert ? Vous déconnez à plein tube ! Et puis, finalement, Astérix gagne quand même. En étant plus malin que les romains. Comme les auteurs ont été plus malins que leurs lecteurs.

(C'est un peu comme dans les Agatha Christie. On sait que le coupable est le personnage le moins suspect de tout le récit. Et pourtant ! Il y aura toujours un personnage moins suspect que le moins suspect des suspects auquel on n'a pas pensé et qui sera donc fatalement le coupable à la fin du bouquin.)

On sait, on comprend, on voit vaguement les grandes lignes, mais est-ce qu'on sera capable de tout anticiper jusqu'au bout ? Certes non. Et c'est ça qui est bon.

LE LIEN ENTRE LE LECTEUR ET L'AUTEUR.

Il y a un infini va et vient entre le lecteur qui comprend les règles définies par les auteurs et qui essaye de les anticiper, puis les auteurs qui, après avoir bien établie les règles, essayent de jouer avec elles sans les briser, pour piéger le lecteur sans le perdre.

Que demander de plus, hein ?

Ah oui, d'accord, avec un sanglier ce sera encore mieux.

7 commentaires:

  1. Il y a la rentrée des écoliers, la rentrée littéraire... Est-ce que l'on peut aussi espérer la rentrée du Zouave ?

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    1. Hélas, non. Je suis complètement à la ramasse. Moi, je me suis plutôt fixé Noël comme objectif. (En plus, ce sera un nouveau format, donc, s'il faut, les rares personnes suivant ce blog trouveront ça complètement pourri.)

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    2. Arf... Je ne crois plus au Père Noël, mais j'espère bien retrouver vos articles sous une forme ou une autre (pourri? ça, ça m'étonnerait ! rogntudju)

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  2. J'ai hâte de découvrir ce que vous ferez après! Ce sera toujours sur le sujet de la BD? Ce blog est mythique en tous cas :)) Merci beaucoup, j'ai appris plein de trucs en me marrant!

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  3. En fait, j'ai testé la fameuse "nouvelle formule" auprès de proches, qui m'ont tous dit que c'était pourri. Donc je vais refaire du blog à l'ancienne, tout comme avant. Il faut juste que j'arrive à me dégager plus de temps pour réussir à écrire les posts, ce qui n'est vraiment pas une mince affaire.

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    1. Peut-être pourrions-nous avoir un aperçu de la nouvelle formule sur une autre plateforme, sous couvert d'une identité anonyme, afin qu'aucun de nous ne sachions qui est le mystérieux être se cachant sous votre nouveau pseudonyme ?

      - Un homme qui ne voudrait pas ajouter plus de pression quant à un nouvel article sur la BD.

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    2. Et bin, en guise de nouvelle formule, me voilà revenu à l'ancienne, avec articles longs comme le bras et images qui mettent cinquante ans à se charger. CECI DIT ! Comme je me devais d'être disruptif comme tout un chacun, je me suis inscrit sur twitter (ou tweeter) (ou touiteur) quelque chose comme ça. Qui c'est, le jeune, maintenant, hein ?

      Quant à mon identité, je crois que tout le monde la connais ici, je m'appelle Bruce Wayne.

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