lundi 19 décembre 2016

La bande dessinée organise le manque.

Philippe Dupuy ne nous montre pas tout. Et ça fait toute la différence.

Philippe Dupuy, Journal d'un album, L'Association.

(Ouais, parce que je me suis dis « qu'est-ce qui colle mieux aux fêtes de Noël que la mort et le désespoir ? ») (Pour le nouvel an, je vais bien réussir à trouver une bande dessinée sur le suicide en entreprise pour égailler tout ça.)

LE VÉRITABLE TRAVAIL DU SCÉNARISTE.

Il y a un travail scénaristique très TRÈS important et complètement ignoré la plus part du temps : c'est le travail du tri.

Un personnage doit aller d'un point A à un point B. Alors il se lève, il réajuste sa chemise, il marche vers la porte, il ouvre la porte, il marche dans le couloir, il prend sa veste, il boutonne le premier bouton de sa veste, il boutonne le deuxième bouton de sa veste, il ON S'EN TAPE !

C'est justement le travail du scénariste de comprendre ce qui est important de montrer/raconter, et ce qui est complètement insignifiant et inutile. Le scénariste, du coup, organise les ellipses dans le récit. Ce qui est d'autant plus important en bande dessinée, ou tout réside justement dans le dosage de l'ellipse, plus ou moins forte, entre deux images contiguës.

(En vrai, le boulot du scénariste est de souvent celui d'un crash-test. « Essayons de voir si ça donne quelque chose d'intéressant si je détaille cette partie de l'histoire... ah bin non, c'est super chiant, je vais plutôt faire une ellipse du coup. »)

LE VÉRITABLE TRAVAIL DU BON SCÉNARISTE.

Pour résumer : une bonne histoire ne se définit pas seulement par les bonne scènes qui ont été écrites, mais également par les mauvaises scènes qui ont été évitées (parce que ennuyeuses, parce que inintéressantes, parce que redondantes, parce que inutiles à la progression dramatique).

Mieux encore, si on atteint le niveau supérieur du scénariste méga-super-fort, on en arrive à n'écrire que de supers scènes (forcément, on est super fort). Les ellipses vont donc s'organiser non pas en triant entre les bonnes scènes et les inintéressantes, mais en choisissant avantageusement dans les bonnes scènes celles qui vont servir un propos. Voire construire une relation avec le lecteur. Voire créer des émotions. Voire manipuler le lecteur à sa guise, pour en faire une petite chose tremblante qui obéit au moindres intentions des auteurs.

Philippe Dupuy est de ces gens là.

POURQUOI CETTE PAGE FAIT CHOUINER ?

Si on détail cette page on a droit à :
  • Trois cases de jeunesse et d'espoirs.




Notons qu'ici les images sont dessinées comme des photographies d'époque et que ce sont les seules images où la mère de Dupuy sourit (de moins en moins). Ce qui nous fait penser à un temps lointain, heureux, et révolu.
  • Une case de vie difficile.

Dans la troisième case, la mère de l'auteur a, je sais pas moi, disons 25 ans grand max. Dans la cinquième case, elle en a 70-80. Nous avons donc une seule case pour décrire sa vie adulte. La jeunesse, la vieillesse, et, au milieu, une vie qui a passé comme un souffle, en une seule case. Qui plus est, dans cette case, elle est de dos, un peu voûtée, manifestement fatiguée, et en tout cas beaucoup moins rayonnante que durant sa jeunesse. Où, comme disais Woody Allen :

 Et les non-anglophones ils font comment pour comprendre, me direz-vous ? Bin ils s’entraînent. 
  • Deux case de souffrance et de mort.


Et directement après une vie trop courte : la maladie, le handicap, la tristesse, le désarroi, et la mort.

Youhou !

LIFE IS A BITCH, AND THEN YOU DIE.

Dans cette page, il y a à la fois la progressivité de la tristesse (la mère de l'auteur sourit de moins en moins et en chie de plus en plus) et des ellipses entre les différentes étapes de la vie (les trois premières cases nous habituent à un rythme mollo-mollo, avec plusieurs images de jeunesses, puis tout s'emballe et la mère est déjà morte sans qu'on ait eu le temps de dire ouf).

L’impact de la page ne serait pas aussi fort s'il n'y avait pas cette progressivité de la tristesse, qui donne son unité à l'ensemble et empêche de se retrouver face à un amas incohérent de scénettes décolorées les unes des autres.



Le personnage sourit de plus en plus timidement, puis fait la gueule de plus en plus franchement.

L'impact de la page ne serait pas aussi fort sans les ellipses qui réduisent la vie de cette femme à presque pas grand chose. Le temps de grandir et, pouf, elle est déjà à l'hôpital.

C'est le choix de NE PAS montrer la vie adulte de cette femme qui nous impressionne autant. C'est l’absence de tout développement après les espoirs de la jeunesse qui génère nos émotions à la lecture de cette page. C'est le manque qui remplit nos petits cœurs de larmes.

Alors oui alors ATTENTION !

D'habitude, l'ellipse, c'est bat et chenmé (c'est du verlan, c'est du langage de jeune, vous pouvez pas comprendre). Le vide entre deux cases nous incite à le combler par notre propre imagination et à peupler de nos propres rêves le récit d'un autre.

MAIS, ici, les ellipses sont beaucoup trop grandes. Le temps entre deux cases est beaucoup trop important. Notre esprit n'a donc plus assez d'informations pour pouvoir ou vouloir ou être capable de combler le vide entre ses deux cases. Du coup, il ne le fait plus. (Notre cerveau, ce bon à rien de feignant de fonctionnaire immigré pauvre.)

Ici, on n'a aucun point sur lequel se raccrocher entre les deux cases. Aucun objet, aucun décor, presque aucun personnage. Le seul personnage commun est tellement changé (de coupe de cheveu, de vêtement, de posture) que c'est peine perdue pour organiser un pont entre ces deux images. Du coup, on est bien en peine quand il s'agit de combler le vide entre les deux cases. Ça demande trop d'effort. Et on reste sec.

POINT « L'AUTEUR A UNE MORALE ».

Là encore, le choix de très grandes ellipses est fait de manière très intelligente par Dupuy pour que, justement, on ne soit pas en mesure une seule seconde d'imaginer quoi que ce soit, et de remplir de fausses histoires la vie de sa mère. Les cases restent isolées les unes des autres, sans qu'on essaye d'imaginer le lien entre elles.

Dans ce cas, on est plus dans une démarche morale : il s'agit de la mère de l'auteur, pas d'un simple personnage, l'auteur ne veut pas qu'on se mette à imaginer de la fiction autour d'un personnage réel, il fait donc en sorte que ce ne soit pas possible pour notre cerveau.

PROBLÈME !

On lit la page, on ne fait aucun lien entre les différentes case, on ne rajoute pas notre mayonnaise pour lier les différents éléments, comment garder une cohérence à l'ensemble ? Hein ?

Dupuy y arrive en dressant des ponts entre les différentes images.

On a déjà parlé de ce fameux sourire qui disparaît petit à petit.



Ouais, parce que c'était pas assez triste la première fois, donc je vous le remontre.

Mais il y a aussi trois cases qui se répondent parce qu'un autre personnage est lié à cette femme.


Deux autres cases où elle est de dos, ou presque.


Et deux fois deux cases sur des âges bien marqués (la jeunesse-chez-ses-parents et la vieillesse-à-l'hôpital).



Il y a donc bien des ponts entre les différentes cases pour former un tout, mais pas des ponts dans le sujet des cases (on ne décrit pas une action en plusieurs cases), ce qui permettrait de faire fonctionner notre imagination. Ce sont plus des ponts structurels (je met entre guillemet, parce que ça fait un peu tarte comme terme abscon) (ceci dit, ça manquait de termes abscons, cette chronique) (on ne met jamais assez de termes abscons) (des ponts thématiques « la mère jeune », « la mère vielle », « la mère accompagnée », « la mère qui en chie »).

PLUS ENCORE !

Ce ne sont pas simplement ces ponts structurels mais les compositions des cases qui se répondent les unes aux autres, offrent des points de comparaison, de ressemblances et de dissemblances, et qui articulent nos sentiments face à cette page.

Dans la seconde case, seul le mari est resté dans le triangle de gauche et sur sa diagonale. 
Sa femme la quitté pour aller sur l'autre diagonale de l'image.

Dans ces deux cases, Dupuy est resté dans la même partie de l'image (le triangle du haut), 
alors que sa mère est redescendue dans un triangle plus bas.

C'EST DONC POUR CELA QU'ON CHOUINE.

L'entre-croisement des constructions / combinaisons / compositions donne l'unité de la page et fait en sorte qu'on reçoive la vie de la mère de l'auteur comme un tout, dont on compare différentes étapes.

Mais la trop grande différence entre les différentes étapes de sa vie décrites dans cette page ne nous permet pas d'imaginer cette vie, de la peupler. Nous en restons extérieurs et ne pouvons constater qu'une seule chose : entourée d'espoirs et de souffrance, la vie du personnage passe comme un souffle.

Plus que Pascal et ses maximes désespérées, plus que Schopenhauer et sa logique annihilante, Dupuy, en six cases, nous allonge pour le compte, en nous montrant toute la vanité de nos vies.

PETIT JEU CONCOURS : COMBIEN DE PERSONNE SONT ALLÉE AU BOUT DE CETTE CHRONIQUE SANS SE SUICIDER ?

Quatre ? bravo. Vous avez toute ma considération.


jeudi 10 novembre 2016

La bande dessinée fait mourir ses personnages.

Il n'y a pas de souci, je ne suis pas plus obtus qu'un autre, je peux parfaitement comprendre que l'on ne soit pas d'accord avec moi, cependant, je dois bien avouer que, selon moi, quand on fait mourir un de ses personnages, on est un bon gros scénariste de merde.

EN VOILÀ UN AVIS NUANCÉ COMME JE LES AIME !

Il se trouve que, parfois, quand on lit une histoire, pif, au détour d'une page, un des personnages dont on suivait la vie depuis plus ou moins longtemps meurt.

Or, on ne va pas se voiler la face, la plupart du temps, les personnages meurent pour de mauvaises raisons.

PREMIÈRE MAUVAISE RAISON : LE SCÉNARISTE CONSTRUIT MAL SES PERSONNAGES.

Dans ce cas là, on dit que les personnage est « arrivé au bout de son cheminement personnel ». Une manière très polie de dire « je savais plus du tout quoi foutre de lui ». L'auteur a construit tel personnage dans telle optique (être le copain du personnage principal, être le vieux mystérieux d'un groupe de survivants à une catastrophe, être la mère d'un des protagonistes) et, une fois que le personnage a rempli son rôle, il n'est pas assez riche, dense, intéressant pour être autre chose qu'un personnage-fonction. Il est le copain, le vieux, la mère, mais il n'existe pas en lui même. Du coup, il suit les personnages principaux comme un gentil chien couillon dans lequel on se prend les pattes. Il fait suer tout le monde et ne sert à rien. Couic. À la poubelle.

Pauvre petit personnage victime du non-talent et de la non-technique de l'auteur, inapte à construire des personnages autrement que par rapport à ce qu'ils doivent apporter à l'intrigue d'une histoire. Si le personnage est si faible qu'il gave déjà tout le monde au bout de dix pages, il fallait simplement le ré-écrire pour le rendre plus intelligent. Point barre.


ATTENTION SPOILERS
Dans les phalanges de l'ordre noir, Christin et Bilal font mourir quasiment tous leurs personnages à la fin (comme des merdes), ok. MAIS ils les ont fait vivre pendant tout le reste du bouquin, on a appris à les connaître, ils sont (re)tombés amoureux. 
On est alors tout triste de les voir tomber comme des mouches pour une raison finalement plus si évidente.

#JoieDeVivre #NovembreLeMoisLePlusGaiDeLannéeCestConnu

SECONDE MAUVAISE RAISON : LE SCÉNARISTE CONSTRUIT MAL SES SCÈNES.

Dans ce cas là, le scénariste va commencer à raconter n'importe quoi à base de : « je n'ai fait que suivre mon histoire, qui a rendu cette mort inéluctable », ce qui est une reformulation habile de « je me fous complètement de votre gueule, les gars, cherchez pas, je suis juste un mauvais ». 

L'auteur choisit comment un personnage s'habille, s'il est petit, s'il est grand, s'il est gay, qui il rencontre, ou il va, et tout d'un coup, au moment crucial, il ne déciderait plus de rien, il ne serait plus capable d'intervenir dans l'intrigue comme les 2568920123475632000 autres fois qu'il l'a fait pour compliquer ou faciliter la vie du personne ?

La vérité, c'est qu'il s'est retrouvé dans un segment de son histoire un peu pourri, un peu chiant, une sorte de transition (dans les mauvais bouquins, les personnages meurent toujours quand la situation est flottante et qu'on sait pas trop où ça va mener ou quoi foutre) que l'auteur a voulu dynamiser en faisant pleurer Margot. « Punaise, je sais vraiment pas comment sortir de cette scène tout molle, là. Ha bin j'ai une idée : si je tuais un perso ? Ça va choquer le lecteur, ça va faire semblant qu'il se passe quelque chose dans la scène et qu'il était vachement important qu'on en arrive là, alors qu'en fait il se passe rien et tout le monde se fait chier depuis vingt pages et, non, contre toutes apparences, je ne suis pas la voix du scénariste de Walking Dead.  »

Dans Sandman, un personnage a même le droit de refuser de mourir, comme ça, pouf. Ça c'est ce que j'appelle un scénariste.

#MêmePasMort #MêmePasEnRêve #JeuDeMotEntreSandmanEtRêve

MAIS ALORS ON PEUT JAMAIS FAIRE MOURIR QUI QUE CE SOIT SOUS PEINE DE PASSER POUR UNE GROSSE BALTRINGUE, C'EST ÇA ?

C'est exactement ça. Je suis bien content que vous ayez tout compris. Allez ! Salut ! A la prochaine.

(Mais non, je déconne, rohooooo, ça va, on peut plus rigoler, ou bien ? C'est ce qu'il y a de plus terrible dans nos sociétés modernes, on peut plus rien dire. (Déjà hier, les gens on mal pris ma blague sur « Y a un juif, un arabe, et un gay qui rentrent dans un bordel de Bamako... ».) ('Tin, la chape de plomb, quoi.))

PREMIÈRE BONNE RAISON DE TUER UN PERSONNAGE : TOUT CE QUI A ÉTÉ DIT CI-DESSUS. (OU : LA MORT POURRIE, MAIS FAITE EXPRÈS.)

Si on veut faire ressentir toute la vacuité, la faiblesse, la misère de la vie d'un personnage, le faire mourir comme une merde est une bonne solution d'illustration.

Tu es un personnage dont la vie ne sert à rien ? Tu es un personnage qui n'arrive pas à sortir de la fonction dans laquelle t'a réduit la société ? Tu es un personnage qui a une vie inintéressante ? Inutile ? Vaine ? (On dirait que je fais un autoportrait, c'est pas brillant-brillant.) Eh bien pour bien surligner tout ça, le scénariste va te faire mourir comme une merde. Merci qui ?



Dans Domu, Otomo (toujours autant dans le fun) fait mourir des tas de gens dans des HLM impersonnels. Youhou ! C'est la fête ! (Comme d'hab chez Otomo, ceci dit.) (Ce serait dommage de se priver de tout faire péter.)

#AmourDeSonProchain #JoiesDeLaVieModerne #RichessesDeLaVieCitadine

DEUXIÈME BONNE RAISON DE TUER UN PERSONNAGE : L’ENNOBLIR.

Ça arrive de mourir. On peut pas dire le contraire. Ne faire mourir personne dans aucun récit sous prétexte que c'est pas très gentil nuirait quand même au réalisme de l'ensemble. Donc, oui, ça peut arriver de faire mourir un personnage sans que ce soit un scandale.

Dans ce cas, il faut mettre en scène cette mort, ce qui l'amène, et ses conséquences.

Elle n'est plus un simple moyen de se débarrasser d'un personnage ou d'une situation gênante, pouf-pouf, c'est fait, on n'en parle plus, on passe à autre chose, on ne va quand même pas s'éterniser sur une boulette de scénariste. Elle devient un acte décidé et profond du récit, qui est construit pour analyser les effets que cette mort à sur tous les protagonistes, y compris le personnage à qui ça arrive.

Cette mort bouleverse le personnage à qui elle survient. Cette mort bouleverse les autres personnages et infléchit significativement le récit. Cette mort compte.





Dans Number 5, à chaque fois qu'un personnage meurt, tout le monde pleure pendant des lustres. 
Au moins, on fait pas semblant.

#OnVaPasPleurerOnEstDesBonhommes #Virilité #ZemourrisationDesEsprits #TrumpEstÉluJeMadapte

LA MORT DU PERSONNAGE, PAR RAPPORT À LUI-MÊME.

Bon, alors, bon, là, je me suis un peu chauffé à base de réflexions sur la vie, la mort, et les caramels mous. J'ai peut être poussé le bouchon un peu loin. La mort du personnage reste quand même un acte pour de faux dans un récit de fiction. C'est un acte fort. Certes. Mais qui ne porte pas à plus de conséquences que ça.

C'est pour ça que, souvent, quand survient les réflexions d'un personnage sur sa propre mort, c'est plus une réflexion symbolique sur tel ou tel aspect philosophico-existentialiste de la vraie vie qu'une description précise et minute-après-minute de ce que traverse le personnage (ce qui serait de toute façon complètement horrible et totalement indécent).

La mort du personnage est utilisée comme enjeu fort (on peut difficilement faire plus fort) par rapport auquel le personnage va devoir réfléchir et se positionner.

Bref : quand le scénariste se place du point de vue du personnage qui va mourir, c'est souvent pour amener une réflexion symbolique sur un sujet existentiel, tout en poussant les potards à fond avec un enjeu maximal : la mort du personnage elle-même.



Dans Sandman, la mort, personnifiée par une gothique sexy, parle avec tout le monde, 
de tout, de n'importe quoi, mais surtout du sens de la vie.

#OnSenFoutSiElleMeurtElleEstMoche #TrumpEstÉluJeVousDis

LA MORT DU PERSONNAGE, PAR RAPPORT AUX AUTRES.

Ça va ? Je vous ai pas encore complètement perdu ? C'est jouasse, hein, comme sujet ? Dire qu'ensuite je me demande pourquoi personne vient lire ce blog...

#SansAmis

Bon, bin, si vous trouviez ça tristounet, accrochez- vous à vos bretelles, parce que ça va pas aller en s'arrangeant.

Parler du deuil du point de vue du personnage qui meurt, c'est trop violent. Alors les scénaristes vont (en général) dans la métaphore, dans la réflexion philosophique, dans la crise existentielle. Ils évitent la confrontation directe.

Par contre, quand le mourant n'est qu'un personnage secondaire et que le personnage principal est simplement spectateur de cette mort, les scénaristes osent aborder directement le sujet du deuil. Parce que c'est moins frontal. Plus éthique. Plus supportable. Moins dérangeant. (Mais toujours pas jouasse.)

Dans Journal d'un album, Philippe Dupuy me fait bien chialer comme une grosse merde.

#FautRigoler #DesNouillesDansLeSlip #DanseDeLépauleSo2015

POURQUOI LE DEUIL ?

Parce que, justement, si on s'attache au point de vue des personnages survivants, on va forcément continuer le récit avec eux. Le récit ne s'arrête pas à la mort du personnage. Il se poursuit. Donc, si on veut en faire un fait quand même un peu marquant, il faut montrer l'impact de cette mort sur les autres personnages. Il faut montrer comment cette mort influe sur le cours du récit qui continue.

On n'est plus du tout dans une logique symbolique, mais dans une catharsis pure.

PETIT POINT J'ME LA PÈTE.

La catharsis est une notion très floue, que beaucoup de gens ont redéfini à leur sauce (Aristote, Racine, Freud...). Grosso modo, c'est une purification des passions par le moyen d'une représentation artistique. On assiste à un pestacle, et ça nous défoule.

CATHARSIS DU DEUIL.

La représentation d'un deuil vécu par un groupe de personnages, le fait qu'ils arrivent plus ou moins bien à l'assumer et à passer à autre chose, le fait que cette mort a eu un impact sur leurs vies et que le personnage disparu à compté, que sa vie a compté, que sa mort a compté, tout cela peut nous permettre de nous défouler de pas mal d'angoisses légitimes et puissantes.



#ConfianceEnLavenir

RÉSUMONS-NOUS.

D'un côté nous avons des scénaristes qui cachent juste leurs problèmes techniques sous le tapis.

De l'autre nous avons des scénaristes qui essayent de nous faire réfléchir ou d'apaiser nos angoisses.

Lesquels préférez-vous ?

Moi je préfère ceux qui rendent la mort sexy.

Comment ça « t'es vraiment trop nul, les hashtags, c'est sur twitter gros débile » ? Mais c'est quoi ce twitter ? 

Punaise, c'est chaud, la technologie.

vendredi 14 octobre 2016

La bande dessinée n'est pas du bla bla

C'est comme ça, je me suis promis que je ne dirai jamais de mal d'une bande dessinée dans ce blog.

Mais je n'ai jamais promis que je ne dirai pas de mal d'un film.


POURQUOI C'EST MAL ?

Dans ce film, on nous communique différentes informations. On le fait par le dialogue, et uniquement par le dialogue. Pas par le cadrage. Pas par la photographie. Pas par le montage. Pas par une petite scène à côté qui ajouterait du sens. Ou un second rôle bien fichu. Pas même par le jeu d'acteur. Non. Y a juste un mec qui parle, face caméra, et qui explique ce qu'il faut penser et ressentir dans la scène. Trop aimable...

OUI, MAIS, POURQUOI C'EST MAL ?

Parce que le réalisateur de ce film n'utilise qu'une infime partie des possibilités qui lui sont offertes pour construire son film. Et la plus basique en plus. Le texte. Explicatif. Débité face caméra. Un ersatz de roman, sans le style, sans les personnages, sans les dialogues, sans la construction dramatique. Pas mieux que les didascalies d'une pièce de théâtre ânonnées par un récitant (avec une vanne sur Hulk, quand même, pour nous réveiller quatre secondes et demie).

OUI, NAN, MAIS, D'ACCORD, MAIS POURQUOI C'EST MAL ?

Parce que le réalisateur pourrait varier les méthodes pour exprimer ce qu'il veut exprimer, et, même, chose folle, croiser les effluves (ce n'est pas mal) en utilisant plusieurs des moyens qui lui sont donnés à la fois pour :
  • renforcer ce qu'il veut exprimer en l'exprimant de plusieurs manières,
  • nuancer ce qu'il veut exprimer, en présentant des points de vus contradictoires dans la même scène.
Bref, il pourrait enrichir nettement son propos, et son film, et son art, et ses spectateurs.

Au lieu de ça, s'il veut renforcer son propos, la seule méthode qui lui reste est que, non pas un, mais deux acteurs disent la même chose en même temps.

La seule méthode qui lui reste pour nuancer son propos, c'est qu'un acteur parle-parle-parle, puis, sans trop de raison apparente, qu'il dise quelque chose en contradiction avec son monologue précédent. C'est comme ça qu'on se retrouve avec des tas de super-héros qui, alors qu'ils viennent d'expliquer qu'ils sont face à la plus grande menace que l'humanité n'est jamais bla bla bla, balance une petite vanne l'air de rien juste à la fin. Parce que, quand on n'a plus que le monologue d'un personnage pour nuancer un point de vue, et bin on balance de la petite vannasse, c'est comme ça, c'est une règle à Hollywood (cherchez pas à comprendre) (c'est dans le même bouquin de règles qu'on trouve précisé qu'il ne faut plus faire de films originaux, mais que cela doit obligatoirement être des adaptations de suites de remakes).

ET LE PROBLÈME, C'EST QUE CETTE TECHNIQUE DU « TOUT PASSE PAR L'ÉCRIT » EXISTE AUSSI EN BANDE DESSINÉE.

Mais est-ce qu'on ne pourrait pas avoir juste un exemple de bande dessinée qui fait de la merde ?

NAN. J'AI PROMIS.

Allééééé... Je me fais mal l'image d'une bande dessinée pourrie, quand même, j'ai besoin d'un exemple.

MAIS VOUS N'ÊTES JAMAIS RENTRÉ DANS UNE FNAC OU BIEN ?

L'art narratif, ce n'est pas juste balancer des informations au bon moment au bon endroit (« en fait, j'avais oublié de t'en parlé tantôt, mais je suis ton père ») (« en fait, c'est ballot cette histoire, on parle, on parle, et on oublie des choses, il fallait que je te dise que je ne suis pas mort naturellement, j'ai été assassiné par mon frère et je voudrai que tu me venges (si c'est pas trop demandé) »).

(Je vois qu'il y en a qui connaissent mieux l'intrigue de Star Wars que de Hamlet, je ne juge pas, mais je prend note.)

L'art narratif, c'est de stimuler tellement le lecteur/spectateur par tout un tas de moyens qu'il ne sais plus où donner de la tête, n'arrive plus à analyser le film / la pièce de théâtre / le roman / la bande dessinée mais se laisse complètement emporter par lui.

Mais, pour cela, c'est sûr, il faut maîtriser un peu ce que l'on fait (ça fait mal à la tête). (Et il faut avoir aussi à faire à des critiques qui savent analyser autre chose que du texte pur et qui ne se sont pas arrêtés à l'analyse de texte du Bourgeois Gentilhomme en 4°C de Mme Montreux.)

PARCE QUE, JUSTEMENT, LA BANDE DESSINÉE, C'EST LA JUXTAPOSITION DE TOUT UN TAS DE CASES QUI PEUVENT CONTENIR TOUT UN TAS DE TRUCS DIFFÉRENTS.


Peyo, Johan et Pirlouit - Le sire de Montrésor, Dupuis.

(ATTENTION ! SUPER IMPORTANT ! ON DIT : « PIRLOUITTE » !)
(NE FAITES PAS D'ERREUR DE PRONONCIATIONS ! VOUS RISQUERIEZ DE PASSER POUR UN FRANÇAIS !)

DU POINT DE VUE DE L'HISTOIRE PURE.

1° action : révélation (par le texte).

2° action : capture (par le texte et la composition de l'image).

  
3° action : fuite (par le dessin).

4° action : alerte (par le texte).


5° action : course poursuite (par le dessin et la composition).

Il y a de tout pour tout le monde. L'action est variée; on passe pas juste trois plombe à papoter.

DU POINT DE VUE DES PAS DE CÔTÉ QUI N'ONT RIEN À VOIR AVEC LA CHOUCROUTE.

Il y a bien des coups de suspenses et de stress avec des vraies têtes de Iago dedans comme dans tout récit qui se  respecte.

MAIS il y a des contre-points bien plus naturels, avec des vrais bouts de vrais-gens-comme-vous-et-moi qui détestent être réveillés en plein milieu de la nuit et ne rien comprendre à rien.
Les méchants ne sont pas si méchants, ils sont justes mal réveillés.

(De la nuance, donc.) (Tout le contraire des méchants à la Zultan-prince-moche-des-ténèbres-froides-et-destructeur-des-mondes. (À quel âge Zultan a-t-il décidé d'abandonner son nom de Ken Joshua De Parmentier ? Une adolescence qui passe mal ? Un conseiller d'orientation zélé ? Un premier rendez-vous ANPE où l'on préconise de muscler le CV ?)

DU POINT DE VUE DU RYTHME DE LA PAGE.

Peyo zappe constamment et fait en sorte de ne jamais avoir deux fois la même ambiance ou le même sujet dans deux cases qui se suivent.
Les gentils sont surpris.

Le méchant est méchant.

Bon, euh, ok, là, le méchant est encore méchant.

De l'action !

De la franche camaraderie rigolote (dans le dialogue) ET de l'action ET le résultat de l'action précédente. 
(Trois sujets dans la même case.)

Exactement la même chose qu'à la case précédente (comme quoi, voyons les choses en face, je raconte n'importe quoi), 
sauf que la conséquence de l'action précédente, c'est que Iago donne l'alerte.

De la rigolade ET de la poursuite ET du stress ET de l'humanisation de personnage même pas secondaires (on les verra plus).

Du stress.

De la rigolade très rigolote.

De la reprise de poursuite et de stress ET un appel vers une fuite possible.

On n'a pas affaire à deux personnages qui blablatent comme des piquets pris dan la semoule. Tout change tout le temps. Le lecteur est mis aux aguets parce que le rythme et la nature de l'action (et on parle bien d'actions et pas de euh... et bin de rien foutre dans un salon cosy) changent sans cesse.

DU POINT DE VUE DES PERSONNAGES.



Peyo se place TOUJOURS du point de vue du personnage. Comme ça on peut TOUJOURS se projeter dans l'action qui se passe. 
On est avec les gentils comme on est avec les méchants. On est avec eux, voilà tout. On est à fond les ballons.
(Parce que l'important n'est pas QUE le porteur du discours, l'important, c'est l'action, et tout ses protagonistes.)

DU POINT DE VUE DE LA COMPOSITION DES CASES.

Ordre.

Désordre.

Ordre qui passe sur le désordre.

Les fuyards dans un sens.

Les poursuivants dans l'autre.

Et les deux qui se rencontrent de biais avant que de fuir vers la page suivante.

Et ce qu'il faut voir c'est que toutes ses couches se superposent. Dans cet enchaînement de cases :




L'action est portée par le dessin de la première. Le suspense est porté par le contexte narratif de la seconde. La camaraderie est portée par le monologue de Pirlouit. L'humanité est apportée par tout ces soldats qui s'en prennent plein la tête sans rien pigé à ce qui se passe. L'histoire est portée par la composition toute en lignes de fuite.

Il se passe tellement de choses en si peu de place ! L'esprit peut vagabonder entre tant d'éléments différents et presque disjoints ! La scène est riche parce que les moyens technique pour la construire le sont. La scène est rapide parce que chaque moyen n'est utilisé qu'une fois pour passer à un autre système à la case suivante. La scène est fun parce que notre compréhension est tellement sollicitée sur tellement de niveaux différents que ça ribouldingue dans notre cerveau et qu'il adore ça.

Métaphore de ce qui se passe dans votre cerveau quand il kiffe.