Tardi nous montre comment regarder de face (ça a l'air simple, dit comme ça, mais en fait, pas du tout) (et heureusement, sinon, je sais pas trop ce que j'aurais à dire dans ce post) (la vie est bien faite, finalement) (sinon, vous, ça va ?) (quoi « faudrait voir à commencer, monsieur » ?).
Tardi fait vraiment exactement tout le contraire de Mézières.
TARDI DONNE DANS LE BASIQUE.
Là où Mézières met plein de personnages différents dans une même case pour créer du fouillis compliqué à lire, Tardi ne met qu'un personnage par case. Au gros maximum deux. Trois s'il est dans un très mauvais jour. Et encore ! La grande spécialité de Tardi, dans ce bouquin, est de faire parler les personnages, de face, comme s'ils s'adressaient au lecteur. Les personnages parlent, mais ils parlent tout seul. Et encore ! En général, ils se parlent dans leurs têtes, sans même essayer de communiquer avec qui que ce soit d'autre que le lecteur.
Bref, Tardi fait comme si on était con comme des manches à balai et fait le plus simple, clair, et direct possible.
Bref, Tardi fait comme si on était con comme des manches à balai et fait le plus simple, clair, et direct possible.
Voilà. Deux personnages et un peu de décor. Pas beaucoup plus.
(Bon, si, ok, des cadavres dans le fond. mais c’est pour faire joli, c'est pas pareil.)
(Bon, si, ok, des cadavres dans le fond. mais c’est pour faire joli, c'est pas pareil.)
Là, c'est encore plus épuré, puisqu'on n'a même plus de dialogue ou d'interaction entre les personnages.
Il se regardent en chiens de faïence, et y en a un qui se parle tout seul dans sa tête.
À noter que, comme dans le précédent extrait, il n'y a pas d'action. Juste une situation qui se prolonge...
(Deux gars dont un à vélo ; deux gars dans une cave...)
Il se regardent en chiens de faïence, et y en a un qui se parle tout seul dans sa tête.
À noter que, comme dans le précédent extrait, il n'y a pas d'action. Juste une situation qui se prolonge...
(Deux gars dont un à vélo ; deux gars dans une cave...)
Bon, ok, pour être tout à fait sincère, des fois, il y a plus de trois personnage dans une case.
Mais ce sont des personnages indifférenciés, plus un décor ou une image d'ensemble qu'autre chose.
Mais ce sont des personnages indifférenciés, plus un décor ou une image d'ensemble qu'autre chose.
TARDI DONNE DANS L'ÉPURE.
Tardi ne décrit pas plusieurs actions à l’œuvre dans une même case (ou dans plusieurs cases différentes, d'ailleurs). Qu'il y ait un, deux, ou trois personnages, ils sont tous en train de faire la même chose. De plus, l'action n'enchaîne pas sur un rebondissement, un suspense, ou quoi que ce soit de divertissant. On reste sur un même sujet (en général, une action en creux : des gens attendent, parlotent, essayent de penser à autre chose), et on tourne autour de la scène sans faire évoluer quoi que ce soit.
Tardi ne décrit pas plusieurs actions à l’œuvre dans une même case (ou dans plusieurs cases différentes, d'ailleurs). Qu'il y ait un, deux, ou trois personnages, ils sont tous en train de faire la même chose. De plus, l'action n'enchaîne pas sur un rebondissement, un suspense, ou quoi que ce soit de divertissant. On reste sur un même sujet (en général, une action en creux : des gens attendent, parlotent, essayent de penser à autre chose), et on tourne autour de la scène sans faire évoluer quoi que ce soit.
Par exemple, dans cette page, Tardi fait en sorte que le lecteur ait l'impression de faire du surplace dans l'action en reproduisant un peu toujours les mêmes postures des mêmes personnages d'une case à l'autre.
De même, Tardi construit ici sa double page comme une gigantesque vision kaléidoscopique de la même image générale. Deux pages pour décrire une seule image (qui n'évolue pas, donc, hein, je le répète pour être bien clair, au cas où).
Métaphore de Tardi cherchant à construire une bande dessinée.
(Ou métaphore de Tardi cherchant du porno sur internet, je sais pas trop.)
Il la joue « c'est pas moi, chuis pas là ». Il s'efface dans le choix des enchaînements, des points de vue des différentes cases. Il prend un plan large de face et tourne autour d'une même scène. c'est tout. La sobriété la plus absolue. Ce qu'il reste, c'est juste une l'impression qu'on détaille à la loupe une image quasi réelle de la guerre de 14.
Les seuls moments où il se passe quelque chose (et bien sûr quelque chose d'atroce),
Tardi se débrouille pour que l'image ne change quasiment pas.
Quand l'image change, il n'y a pas d'action. Quand il y a une action, l'image ne change pas.
Tardi limite à mort tous les effets possibles.
Tardi se débrouille pour que l'image ne change quasiment pas.
Quand l'image change, il n'y a pas d'action. Quand il y a une action, l'image ne change pas.
Tardi limite à mort tous les effets possibles.
TARDI DONNE DANS LE RÉALISTE.
La seule chose que s'autorise Tardi, ce sont de grandes cases très détaillées. Très réalistes. Qui se rapprochent de l'idée de photographies prises sur le vif de la guerre pour en refléter la réalité. Tardi essaye de donner l'impression au lecteur qu'il intervient le moins possible dans ce qui est dessiné. Que c'est vraiment exactement comme ça que ça a pu se passer. Qu'on aurait pu voir exactement cette image en 1916. Qu'il intervient et déforme le moins possible ce qui est représenté dans ces dessins. D'où le choix d'un dessin sans stylisation, sans décors résumés à trois feuilles d'arbres pour faire joli dans le fond, ou personnages silhouettés en ombres chinoise pour faire une ambiance.
D'ailleurs, c'est exactement ce qu'il fait aussi quand il prolonge une action sur deux ou quatre pages. Au lieu de simplement dessiner de la manière la plus précise possible toutes les feuilles de la forêt dans laquelle se passe la scène, il décrit de manière aussi détaillée le dialogue, l'action qu'il est en train de représenter.
Tardi veut imposer l'idée que ce qu'on voit, que ce qu'on lit a ou aurait pu exister, sans aucun filtre. Une impression de de « ça s'est vraiment passé comme ça à l'époque, j'en doute pas une seule seconde » accrue.
Il le fait tout en mettant le lecteur à l'écart ; non impliqué dans l'action, mais spectateur de celle-ci. (Là, c'est plus une question morale : on ne titille pas les bas instinct du lecteur avec des scènes d'actions, on ne l'implique pas, on le laisse hors du coup.)
Tout cet ensemble de choix (esthétiques) a une dernière conséquence : tout le monde est face à quelque chose.
Les personnages font face à leurs actes.
Les personnages font face à leur(s) solitude(s). (Notez bien la subtilité des pluriels.) (C'est à ça qu'on reconnaît les vrais écrivains : leur totale maîtrise des règles grammaticales.)
Et le lecteur fait face à l'horreur.
La seule chose que s'autorise Tardi, ce sont de grandes cases très détaillées. Très réalistes. Qui se rapprochent de l'idée de photographies prises sur le vif de la guerre pour en refléter la réalité. Tardi essaye de donner l'impression au lecteur qu'il intervient le moins possible dans ce qui est dessiné. Que c'est vraiment exactement comme ça que ça a pu se passer. Qu'on aurait pu voir exactement cette image en 1916. Qu'il intervient et déforme le moins possible ce qui est représenté dans ces dessins. D'où le choix d'un dessin sans stylisation, sans décors résumés à trois feuilles d'arbres pour faire joli dans le fond, ou personnages silhouettés en ombres chinoise pour faire une ambiance.
Bon, bin, là, j'ai pas grand chose à commenter à part « ouhlàlà, dites donc, y a plein de détails quand même ».
Le réalisme de la scène se trouve autant dans la lampe et l'encrier du capitaine que dans la description précise de tout ce que pense et fait le sergent.
(Petite remarque en passant : Tardi n'utilise quasiment pas la technique du champ/contre-champ dans ce bouquin.)
(La technique du champ/contre-champ est inspirée du cinéma et de la façon de souvent filmer des dialogues entre deux personnages (un coup, un plan sur un protagoniste, et ensuite, un plan sur le second protagoniste.)
(C'est très utile pour faire croire au spectateur/lecteur qu'il est au cœur de l'action, au milieu des protagonistes, en train de tourner la tête vers l'un, puis vers l'autre.)
(Mais Tardi, sur ce coup, non.) (Il refuse d'impliquer le lecteur.)(Comme il essaye de se désimpliquer aussi.)
(Il veut que nous restions de purs observateurs de l’ensemble des images qu'il montre.) (Il ne veut pas nous faire croire que nous sommes un soldat.) (D'où l'épure et la distanciation.) (Mais il veut nous faire croire que ce qui est montré dans cette bande dessinée s'est/aurait pu réellement se passer, ou (plus modestement) est le plus proche de la manière dont se sont déroulées les choses à l’époque.)
BON. SI ON RÉSUME L'ENSEMBLE.- Épuré.
- Réaliste.
- De face.
Plein de filles nues et de blagues grasses.
Tardi veut imposer l'idée que ce qu'on voit, que ce qu'on lit a ou aurait pu exister, sans aucun filtre. Une impression de de « ça s'est vraiment passé comme ça à l'époque, j'en doute pas une seule seconde » accrue.
Il le fait tout en mettant le lecteur à l'écart ; non impliqué dans l'action, mais spectateur de celle-ci. (Là, c'est plus une question morale : on ne titille pas les bas instinct du lecteur avec des scènes d'actions, on ne l'implique pas, on le laisse hors du coup.)
Tout cet ensemble de choix (esthétiques) a une dernière conséquence : tout le monde est face à quelque chose.
Et, grosso modo, quand on fait la guerre, ça se résume à « j'ai tué quelqu'un et je me sens pas hyper frais ».
Une conséquence inattendue du réalisme accru des décors (et du réalisme moindre des personnages) est que ces derniers se démarquent mieux et plus de l'image générale. Ils en semblent isolé du reste. L'impression de solitude est accrue.
Les personnages font face au lecteur.
Ils s'extraient de l'action pour parler face au lecteur.
Ce qui accroît cette impression de solitude, d'isolement, et tempère encore plus l'action pour rester dans un flottement.