jeudi 3 mars 2016

La bande dessinée est un multi-mythe multiple.

PARLONS UN PEU DE CE QUE JE NE CONNAIS PAS.

Pour essayer de résumer les précédent billets, et comme l'a si bien signalé Mikaël Ross dans un commentaire, il faut rapprocher les archétypes narratifs des archétypes psychanalytiques jungiens (on sent tout de suite que ça va être un billet youplaboum).

Attendez, regardez ce petit air mutin. Je suis sûr qu'on va se marrer comme des bossus.

En psychanalyse, les archétypes sont des sortes d'exemples à suivre qui structurent le bas niveau du psychisme humain, et conditionnent les représentations que nous avons de notre vie, notre environnement, les autres, nous-même, tout ça (gag).

Du coup, je mets là une vidéo linkée par Mikaël Ross en commentaire.
Parce que je n'ai aucune moralité et que j'utilise les bonnes idées des autres en me les appropriant l'air de rien.

Les différents archétypes ne sont pas fermés, mais nous servent en quelque sorte d'inspiration du moment (un coup, on se sent plus guerrier ; un autre coup, plus magicien). On s'inspire de ces différents exemples pour réagir/interpréter/anticiper ce qui nous arrive dans la vie (re-vanne, dites donc, ça n'arrête pas).

Et toujours des vidéos sur les archétypes en psychanalyse.
Vous êtes partis pour trois heures de fun.

Au final, tout le monde fait pareil, et ces différents archétypes sont peuplés des différentes expériences de toutes les personnes depuis le début de l'humanité, ce qui en fait une espèce d'inconscient collectif généralisé, avec quoi toute personne humaine est familiarisée (blagues à tous les étages).

Y A PAS QUE LA PSYCHANALYSE DANS LA VIE, Y A AUSSI MARTINE À LA PLAGE.

Les histoires, elles-mêmes, ne sont que des représentations, des manifestations de ces archétypes. C'est évident quand on parle des mythes grecs, des histoires bibliques (les légendes judéo-chrétiennes) ou mahabharatiques (les légendes hindouistes). C'est assez facile, quand on voit les super-héros d'aujourd'hui comme des revivifications, des réinterprétations de ces fameux archétypes définis il y a bien longtemps chez les grecs (ce n'est pas un hasard si les mythologies de Wonder Woman ou Aquaman sont connectées à des mythologies antérieures). Mais c'est valable pour à peu près toutes les œuvres de fiction depuis le début de l'humanité, à des niveaux plus ou moins forts (Moby Dick, c'est évident, mais ça marche quand même aussi pour Martine à la plage (l'archétype de la petite fille rigolote mutine mais sage finalement)).

On peut également voir Jésus comme un mec qui est pile poil tombé au bon moment pour incarner un archétype, ce qui a fait vibrer une espèce de résonance-archétypale-inconsciente chez des tas de gens, et fait prendre la mayonnaise autour de lui. Pareil pour Luke Skywalker, d'ailleurs (puisque c'est le même archétype, je le rappelle). (Ça marche aussi avec Hitler, ceci-dit, donc, bon, c'est pas forcément pour le meilleur, toute cette histoire.)

On se mélange un peu les pinceaux avec tous ces archétypes, nan ?

Les publicités, elle-mêmes, ont appris à jouer sur cette corde sensible depuis longtemps en nous poussant dans tel ou tel archétype suivant tel ou tel produit. On est un rebelle quand on achète un 4x4 (y a quand même en 4x4 qui s'appelle « renegade ») (sérieux, les gars). On est un magicien connecté à la nature quand on achète du fleury michon (tu mets le truc sous plastique deux minutes dans le micro-onde et, pouf, ça fait des tagliatelles saumon : magiiiiiie) (« mais comment faits-tu Antoine pour que ce plat soit si délicieux »). On est un héros à la Luke Skywalker qui lutte contre les forces obscures de la gauche socialo-bolchévique quand on est trader qui short des obligations d'état.

C'est pas pour balancer, mais y a des cuisiniers qui sont de vrais magiciens.

COMME QUOI, AVEC DE BONS ARCHÉTYPES, ON PEUT NOUS RACONTER N'IMPORTE QUOI.

C'est pour cela qu'il est important de comprendre ces archétypes et les maîtriser.

Si on se décide à écrire une histoire, autant ne pas être soumis à ces archétypes qu'on ne comprend pas (comme tous les scénaristes d'Hollywood qui les utilisent juste parce que le voisin le fait et que le producteur le veut et que tout le monde à oublié la base de la démarche) mais essayer de les décortiquer.

Mieux : si on décide d'utiliser des archétypes pour construire son récit, autant le faire de manière consciente et réfléchie, afin de présenter ces archétypes sous leur meilleur jour pour qu'ils structurent positivement l'inconscient collectif de son époque (j'en fais peut être des caisse mais c'est un peu de ça dont il s'agit).

LES NAZIS CONTRE LES PROFS DE BANLIEUE.

Pour gagner mon petit point Godwin (pour ceux qui ne savent pas, le point Godwin est atteint quand on a vidé tous ses arguments sensés et qu'on en arrive à comparer les positions de son adversaire à celles d'Hitler pour essayer de le décrédibiliser) : on peut se sentir rebelle en étant un néo-nazi roulant en 4x4, ou alors on est juste un gros loser.


On peut également voir un professeur enseignant dans des classes de banlieue parisienne comme un fonctionnaire surpayé et feignant distillant un savoir inutile (la culture ne sert à rien, et de toute façon l'école ne forme pas aux vrais métiers) à des groupes d'islamo-drogués, ou comme un héros républicain donnant son savoir, son temps, et sa santé pour tenter d'extraire tout un tas de gens de leurs déterminismes sociaux.

Si les histoires racontées structurent réellement notre imaginaire, autant aider à le structurer dans le bon sens (qui n'est pas celui des néo-nazis, j'espère que vous êtes d'accord avec moi sur ce coup là). 

Merci, c'est gentil.

Plus exactement : autant montrer des exemples d'incarnation des archétypes qui aient un sens positif.

Seulement, petit souci, un « bon » personnage archétypal n'est pas simplement un personnage non-néo-nazi (très difficile à prononcer), qui fume pas, qui boit pas (sauf du lait de chèvre), et qui traverse sur les passages piétons uniquement quand le petit bonhomme devient vert. Un bon personnage archétypal est un personnage aux archétypes multiples.

Si on donne comme exemple à un lecteur un archétype unique (comme, en ce moment, le héros à la Jésus Skywalker), y a pas trente-six solutions, y en a que deux : soit il va essayer d'y ressembler et, comme c'est un personnage idéalisé, il ne va pas réussir et se sentir incompétent ; soit il va se dire que ce genre d'archétype n'est pas pour lui, et, comme c'est l'unique personnage idéalisé à disposition, il va se sentir aliéné.

Du coup, le lecteur va être tout frustré et devenir nazi par dépit. (Ok, je caricature un tout petit tout petit peu, mais vous voyez l'idée : il est important de proposer différents archétypes pour que n'importe quel lecteur/spectateur/consommateur puisse y trouver son comptant.) 

Roooohh, fallait pas... J'en ai déjà plein à la maison.

LA SOLUTION SE TROUVE DANS L'ARCHÉTYPE MULTIPLE.

Pour que les lecteurs puissent, quoi qu'il arrive, s'y retrouver et s'identifier à un archétype qui leur aille bien, il ne faut pas proposer un seul type de personnage, mais toute une tripotée qui se mélange, soit en mêlant tous les archétypes dans un même personnage, soit en formant un groupe de personnages avec chacun son archétype propre, pour que, au final, cette phrase puisse gagner le prix Marcel Proust de la phrase la plus longue de l'année.

LES NAZIS CONTRE LE SURHOMME.

Narrativement, construire un personnage multiple revient à construire un surhomme, puisqu'il sait tout faire (il est intelligent, sait se battre, connaît la magie, une très bonne recette de crumble au pêches, et arrive à reprendre les gosses à la crèche à l'heure). C'est donc un personnage complètement irréel qui flotte largement au-dessus de la mêlée.

Par exemple, vous avez peut être pu remarquer que j'avais utilisé Ulysse pour illustrer le personnage du futé (Ulysse réussit toujours à embrouiller son petit monde) et celui du voyageur (10 ans en Méditerranée sans rentrer chez soi, même Tabarly l'a pas fait) (enfin, si, mais juste la toute dernière fois). On pourrait également classer Ulysse dans la case des guerriers, puisqu'il était pas non plus un manche durant la guerre de Troie (les geeks-antiques (si, si, ça existe) classe Ulysse en position 4 ou 5 dans les guerriers les plus balèzes (et puis, il a survécu à la guerre, c'est déjà pas si mal)). 

Y a vraiment que le côté « jupette » qui date un peu le personnage, mais sinon, ça passe.

Cet aspect multi-archétypal est en partie ce qui explique la longévité du personnage dans les différentes sociétés qu'il a traversé : il est tellement multiple que tout le monde peut trouver midi à sa porte avec lui et s'attacher à une forme ou une autre du personnage. Quoi qu'on cherche dans un personnage, on pourra le trouver dans Ulysse (ou Superman, ça marche pareil).

À un moment, on sait même plus qui sait. 
Est-ce que c'est Jésus ? Est-ce que c'est Ulysse ? Est-ce que c'est Jérôme Kerviel qui a enfin trouvé sa voie ?
Comment ça « il ressemble pas du tout à Kerviel ». Mais si, enfin : je parle du mec en bandana jaune.

LES NAZIS CONTRE LA TRUITE AUX AMANDES.

De l'autre côté du manche, séparer les différents archétypes en différents personnages et en faire un groupe protéiforme revient à couvrir toutes les possibilités imaginables.

Le groupe en lui-même représente ce héros-surhomme-total qui sait tout faire. Et si le guerrier ne sait pas cuisiner, pas grave, le magicien, lui, sait très bien accommoder la truite aux amandes avec des mirabelles (il tape les mots clefs sur marmiton, comme tout le monde) tandis que le futé connaît les raccourcis pour aller à la crèche en évitant les bouchons.

Ou alors ils savent tous comment construire un tank à base de vieux tubes rouillés abandonnés dans une grange.

Ce sont exactement les mêmes mécanismes qu'avec un personnage unique sauf que, là, les enchaînements entre les différents archétypes sont beaucoup plus visibles et évidents.

LES ARCHÉTYPES, C'EST MAGNIFIQUE.

Au final, ça ne change rien au problème majeur de manier différents archétypes entre eux : ils ont des logiques narratives différentes qui vont rentrer en concurrence, se télescoper, et foutre le bordel. (C'est bien la seule explication de l'utilisation d'un seul archétype dans la plupart des récits : quand on met plusieurs archétypes entre eux, ça complique tout et fait mal à la tête.) (Bon, après, ça explique pas pourquoi les gens utilisent toujours le même archétype, à part que ce sont des feignasses qui n'ont en fait pas du tout compris ce qu'elles faisaient et qui se contentent de suivre la mode.)

Ceci dit, quand les archétypes sont bien utilisés, que ce soit au sein d'un personnage unique ou d'un groupe, ça peut faire des étincelles. Ce que nous essayerons de voir de plus près dans les deux prochains posts.

Allégorie : personnage multi-archétypal faisant des étincelles.

2 commentaires:

  1. "Si on donne comme exemple à un lecteur un archétype unique (comme, en ce moment, le héros à la Jésus Skywalker)... il va se dire que ce genre d'archétype n'est pas pour lui, et, comme c'est l'unique personnage idéalisé à disposition, il va se sentir aliéné.

    Du coup, le lecteur va être tout frustré et devenir nazi par dépit."

    Est-ce donc ça qui explique le succès de l'imagerie de l'Empire Starwars dans l'imaginaire collectif ?? Une piste intéressante ...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je viens de me rendre compte que c'est exactement le parcours de Anakin Skywalker et Kylo Ren. Ils sont frustrés de ne pas pouvoir convenir à un idéal, alors ils deviennent tout nazi dans leurs têtes. Fort ! (Le côté politique de la prélogie est définitivement passé à côté d'un grand truc.)

      (Sinon, on peut quand même remarquer que, dans une époque de libéralisme-marche-ou-crève, le fait d'agiter le miroir aux alouettes du "attends, mec, là, en tant que petite main d'un système pourri, tu es complètement méprisé, mais regardes Jésus Skywalker, lui aussi on croyait qu'il était un moins que rien, et puis il les a tous niqués", pour que les gens ne se suicident pas à la chaîne et garde espoir dans leur heure qui viendra peut-être, est particulièrement pertinent.)

      Supprimer

Exprimez vous donc...