jeudi 31 juillet 2014

La bande dessinée nous reparle des couleurs, quand il n'y en a presque plus.

David Mazzucchelli nous montre que Morris, côté épure des couleurs, c'est un peu une fillette. David, lui, il te fait tout un album avec seulement DEUX couleurs. (Le noir, déjà. Et pis une autre.)




David Mazzucchelli, Big Man, éditions Cornélius (traduction de Jean-Louis Gauthey).

OÙ EST-CE QU'ON EN ÉTAIT, DÉJÀ ?

Morris, en partie à cause de certaines limitations techniques d'imprimerie, a été amené à réfléchir à ses couleurs, trouvant des solutions assez similaires à ce qu'on peut retrouver parfois dans les arts plastiques.

BIEN.

Seulement, il faut savoir que Morris n'est pas le plus à plaindre dans le monde de la bande dessinée en ce qui concerne les couleurs. Lui, grosso modo, il a à disposition une vingtaine de couleurs (quatre couleurs de base, leurs nuances à 50 et 20%, ainsi que des mélanges de tout ça).

Alors que d'autres auteurs, eux, ne peuvent utiliser uniquement que deux couleurs.

POURQUOI DONC ?

Parce qu'ils travaillent en bichromie.

QU'EST-CE QUE LA BICHROMIE ?

(Vous avez vu comment que ça s'enchaîne de manière fluide en questions-réponses, tout ce pataquès ?)

Si la quadrichromie travaille à base de quatre couleurs imprimées avec des tas de petits points, la bichromie fait la même chose, mais avec seulement deux couleurs. Pas plus compliqué que ça.

Passer de la quadrichromie à la bichromie, c'est passer de ça :


à ça :

Deux couleurs, le noir et le rouge, et l'ensemble de leurs nuances (des gris et des roses).

Toujours grâce aux mélanges de petits points magenta et noirs plus ou moins denses.

VOILÀ. ÇA C'EST DIT. (ET BIEN DIT.)

Dans les autres bichromies, on pourra simplement choisir ses deux couleurs parmi toutes les couleurs de la vie et utiliser par exemple du vert à la place du noir et du bleu à la place du rose.

Magnifique !

CEPENDANT !

La plupart des auteurs qui décident de travailler en bichromie ne le font QUE en utilisant les deux couleurs à 100% en aplat, et aucune nuance. (Pas de gris, pas de rose, juste du noir et du rouge.)

Ou, ici, pour ce qui est de Mazzucchelli, du noir et du vert-verdâtre-grisouille :


MAIS MAZZUCCHELLI N'EST PAS SEUL SUR L'AFFAIRE.

Joe Matt, Spent, Drawn & Quaterly.


Michel Rabagliati, Paul dans le métro, la Pastèque.

Debbie Drechsler, the Summer of Love, L'Association.

Bon, d'accord, il y a bien deux nuances de marron. M'enfin, ça fait pas lourd.

 Alors que ce serait tellement plus joli avec pleins de verts et de marrons différents, non ?

Il n'y a a priori aucune raison de restreindre les nuances que peuvent nous apporter les deux couleurs utilisées et c'est pourtant quasi systématiquement le cas dans les bandes dessinées en bichromie (sondage perso issu de ma bibliothèque) (et ce sondage me dit que, effectivement, quand il y a bichromie, il n'y a pas niveau de gris) (ni niveau de magenta) (ni niveau de jaune) (ni niveau de cyan) (j'aime à être précis).

MAIS POURQUOI ? POURQUOI ?!! POURQUOI !!!!!?

Franchement, j'ai galéré comme un porc pour trouver des explications qui me convainquent moi-même, donc je crois qu'on est tous d'accord pour dire qu'il n'y a aucune chance pour qu'elles réussissent à vous convaincre, vous.

MALGRÉ TOUT, JE ME LANCE.

Je vois deux raisons principales à ce style de colorisation.

La première, et la deuxième.

LA PREMIÈRE : L'ÉPURE.

Morris, par des nécessités économiques et techniques, a été amené à épurer ses couleurs.

Et David Mazzucchelli, c'est pareil.

Frank Miller, David Mazzucchelli, Richmond Lewis, Batman - Year one, DC Comics.

Il a commencé dans les comics de super-héros, avant de s'en éloigner pour épurer son trait, simplifier ses histoires, etc. Il est donc logique qu'il simplifie également ses couleurs en passant de la quadri à la bichro (il faut parler en abréviation pour faire votre connaisseur, je vous préviens).

SIMPLICITÉ, SIMPLICITÉ, J’ÉCRIS TON NOM, SIMPLICITÉ !

Les œuvres en bichromies énumérées ci-dessus ont toutes pour but de viser à la simplicité.

Mazzucchelli raconte une histoire simple, courte, en faisant en sorte qu'elle ait un grand impact émotionnel sur le lecteur.

Rabagliati raconte des histoires inspirées de sa propre vie qui sont absolument anti-spectaculaires (Paul au parc, à la pêche, dans le métro, en appartement, à la campagne). Le non-spectaculaire de la bichro rejoint le non-spectaculaire du contenu.

Joe Matt, lui aussi, donne dans l'autobiographique, utilisant des sujet triviaux. Autant, alors, utiliser une colorisation "bas de gamme". (J'ai mis des guillemets, hein ! Commencez pas à vous énerver.)

Voici la couverture du Joe Matt, toute en distinction. 
On voit tout de suite qu'on va pas parler transcendance et héroïsme post-Nietzschéen.

Quant à Debbie Drechsler, là encore, c'est un travail autobiographique (c'est une manie, dites donc). Le récit parle du malaise adolescent et essaye de communiquer ce sentiment aux lecteurs, jusque dans le choix des couleurs.

Marron et vert vomi. Soit c'est fait exprès, soit il y a un cas de daltonisme non décelé.

D'ailleurs, ce vert revient chez Joe Matt (mélangé à du gris de la vie-est-tristoune), pour représenter son malaise.


(Ok, chez Matt aussi, il y a deux verts, comme chez Drechsler il y a deux marrons. Ça va, ça va, c'est pas de la pure bichro en aplats, c'est bon, je sais !) (Mais, bon, il y a pas des folies de nuances non plus, hein !)  (Et puis je vous dis « zut » !(À un moment, faut que ça sorte.)

REVENONS À NOS MOUTONS.

Comme Dreschler et Matt, Mazzucchelli soigne également le choix de ses couleurs. Forcément, hein. Il n'en a plus que deux. Autant passer cinq minutes à ce gratter le crâne pour bien les choisir. Et comme pour Dreschler et Matt, le choix de ses couleurs découle directement des sujets, des thèmes, qui parcourent son histoire.

ET QU'Y A-T-IL DANS BIG MAN ?

  • Tout d'abord, des paysans.

Bon. Ok. Des gens rustiques, quoi. Le travail de la terre, Steinbeck, et tout le bazar.

Alors allons-y pour du marron-vert-couleur-terre-bien-profond.

  • Ensuite, il y a des enfants.


Équation facile et assez classique : enfants = souvenirs de notre propre enfance = flou artistique = gris clair. Ça a l'air énoncé un peu abruptement, comme ça, mais je vous assure que c'est une sorte de classique, le souvenir flou. Ça marche à tous les coups. (Je reviendrais sur cette histoire du souvenir gris plus tard mais, là, je ne voudrais pas trop digresser.)

Puisque vous faites la moue et que vous n'avez pas l'air très convaincu, je vous rappellerai juste que, chez Rabagliati, 
les souvenirs sont aussi en gris (clair).

Gris, donc...

  • Pouf, marron et gris, on obtient notre première couleur de bichro : le vaguement-beige, qui colore Big Man :

Alors, là, c'est pas évident évident, mais je vous garantis que j'ai fait ça avec les niveaux de couleurs sous Paint et tout et tout (genre, sérieux, quoi) (scientifique), et que si on additionne ce marron et ce gris, on obtient bien ce beige.

Ce beige là.

  • Mais dans Big Man, il n'y a pas que ça. Il y a aussi des questions existentielles.

Et qui dit questions existentielles, dit forts contrastes de noirs et blanc pour montrer qu'on est trop dans la profondeur.

Avec des gens qui sont trop dans le questionnement, t'as vu ?

Daaaaark...

  • Et, enfin, dans Big Man, il y a un gentil géant. Un géant costaud. Mais un géant gentil. 

Ici, l'auteur compose avec les autres tonalités qu'il a déjà définies. La puissance, ok, ça peut passer avec des gros traits noirs et des muscles saillant et du beige qui donne une densité au corps du géant (s'il n'était fait que de traits noirs et de vides blancs, le corps du géant paraîtrait vide ; coloré en beige, il parait plein, massif).

Costaud, l'bestiau !

Mais comment faire pour rendre le côté « gentil »« lumineux » de notre ami le géant (opposé au côté daaaaark des paysans) ?

Faites pas semblant de pas voir où je veux en venir...

Blanc écru, donc... « Comme le soleil au lever de la vie... » (C'est du Victor Hugo.) (Nan, je déconne.)

Et voilà nos couleurs de bichro : le noir, le blanc écru de la page et le beige-mais-c'est-du-marron-gris-caché.

TOUT ÇA POUR DIRE QUOI ?

La bichromie, par son aspect « dépouillé », « simple », « je ne vais pas utiliser le tape-à-l’œil de la quadrichromie » envoi un message du type : « je vais vous raconter une histoire anti-spectaculaire », une histoire « proche de vous ».

Ici, dans Big Man, Mazzucchelli utilise cette bichromie pour nous faire avaler la pilule du gentil géant venu de l'espace, en l'inscrivant dans un contexte paysan, au bon sens proche de chez nous. Pas de sabre-laser violet et d'explosions multicolores. Non. Du beige. Pas des niveaux de beige, hein. Un coup plus clair, un coup plus foncé, et on va faire les ombres en gris, et on va mélanger beige et gris pour les feuilles des arbres, ça va être magnifique. NON. 

SIM. PLI. CI. TÉ ! 

Deux couleurs. Et c'est tout. Le récit est simple, la colorisation va le rester.

À CETTE SIMPLICITÉ S'AJOUTE L'IMPACT ACCRU DES DEUX SEULES COULEURS DU LIVRE.

Deux couleurs qui vont synthétiser les thèmes parcourant la bande dessinée.

Marron et vert.

Noir et vert de gris.


Noir et beige.

(On note qu'à chaque fois les auteurs et éditeurs trichent un peu 
en choisissant soigneusement la couleur du blanc, plus ou moins écru, du papier.)

ENFIN.

Il ne s'agit pas de perdre d'un côté ce qu'on vient de gagner de l'autre. Il ne faut pas que la perte de la quadrichromie fasse perdre du sens, de la clarté, de la beauté à la bande dessinée. Il faut trouver des solutions graphiques, plastiques, narratives, sans l'aide de la quadrichromie. Il faut épurer son art tout en conservant son efficacité, son impact.

Il y a un petit côté vantard, dans la bichromie.

« La quadrichromie ? Peuh ! C'est bon pour les amateurs ! Je n'ai pas besoin de tout ces artifices pour frapper le lecteur. Moi, je n'ai besoin que de deux couleurs. Pas plus. » « Et je peux aussi dessiner mon livre pendu par les pieds et une main attachée dans le dos. » « C'est ça le vrai talent, les gars. »

Le coloriste se la joue alors « vrai artiste qui maîtrise à mort ».

SOUVENONS-NOUS.

On a vu plus tôt (chez les rivaux de Painful Gulch) que la quadrichromie permettait tout un tas de choses :

  • Aspects plastiques :

Accord des couleurs.

Contraste des couleurs.

Jeu sur les formes.

  • Aspects narratifs : 

Donner une ambiance à la scène.
(Ambiance apaisée.)

Permettre de mieux comprendre les personnages.
(Union des personnages dans une même couleur autant que dans la poignée de main.)

Permettre de mieux comprendre une situation.
(Ici, un feu qui prend vite et qui monte haut.)


ET, DE FAIT, DANS BIG MAN, ON RETROUVE TOUS CES ÉLÉMENTS :


Contraste des couleurs.
Aspect plastique : contraste entre le premier et le second plan. Le second plan se détache nettement.
Aspect narratif : différenciation des trois enfants et des deux personnages du fond. Chaque groupe reste dans son coin.

Accord des couleurs.
Aspect plastique : accord entre tous les éléments du second plan qui apparaît comme une toile peinte, un spectacle.
Aspect narratif : les deux personnages du fond sont unis dans le travail (travail qui se fait dans la quiétude d'une couleur douce).

Le beige est utilisé pour bien découper les formes (celles des paysans en noir, celles des trois sources lumineuses en blanc). 
La nuit est douce, les formes (rondes, carrées) sont simples, les personnages bien définis, la lumière rassurante.

Ou encore :


On retrouve chez Mazzucchelli tout ce qui faisait les qualités de la colorisation de Morris.

C'est bien ce qu'on appelle une bichromie réussie : quand elle ne sacrifie rien des aspects de la colorisation classique tout en réussissant à apporter un supplément d'âme par la réduction du nombre de couleurs.

HÉ, MAIS, DIS-MOI, TU N'AVAIS PAS PARLÉ DE « DEUX RAISONS PRINCIPALES A CE GENRE DE COLORISATION » ?

C'EST QUOI LA DEUXIÈME ?

Pas de soucis, je vais vous le dire.

La semaine prochaine.

HA HA, SACRÉ TOI, TU M'AS ENCORE BIEN EU.

jeudi 24 juillet 2014

La bande dessinée nous reparle des couleurs, quand il y en a moins.

Morris nous a déjà montré comment il arrivait à faire beaucoup avec peu. Ce n'était pas assez rigolo. Son éditeur l'a aidé à nous montrer comment il arrive à faire tremendously beaucoup avec quasiment rien.




René Goscinny et Morris, Les rivaux de Painful Gulch, Spirou n° 1186-1207, Dupuis.


La semaine dernière, j'ai essayé de montrer se qu'il se passé quand on rognait sur les prix d'impression de son magazine :

  • Utilisation de papier pourri.
C'est tout bavou.

  • Colorisation et impression à l'arrache.
C'est tout dépassou.

  • Règlement des couleurs tout cochonné.
C'est tout merdou.

ALORS, CERTES, TOUTES CES CONTRAINTES NE SONT PAS PIQUÉES DES HANNETONS.

Mais une fois qu'on a imprimé ses couleurs comme un chien sur un papier tout moisi, comment peut-on encore rogner sur les marges et économiser un peu d'argent ? (Non, pas en ne payant plus les auteurs, ça, c'est la solution de maintenant.)

Allégorie d'un éditeur demandant de l'aide face à la crise.

On peut encore ne carrément plus mettre de couleurs dans le dessin en couleur.

HÉ OUAIS, PAS CON.

Juste deux couleurs peuvent suffire (et on se la pète en disant que c'est de la bichromie) (ou plutôt de la bichro). Ou même parfois une seule (et alors c'est du niveau de gris). On peut ainsi imprimer son journal avec des machines moins grosses, moins coûteuses, plus rapides à utiliser.

Dans chaque magazine Spirou des années soixante, on se retrouvait comme ça avec plusieurs pages en niveaux de gris et plusieurs pages en bichromie gris et rouge / rose / magenta. Pourquoi rose ? Je n'en sais fichtre rien, mais c'est peut être lié aux méthodes de tramage magenta sur négatif. (On me murmure dans l'oreillette que c'est peut être simplement parce qu'entre le bleu, le jaune, et le rose, le rose était encore le moins illisible des trois.)

« C'est con, j'avais une meilleure explication... »
(Faut avoir vu Reservoir dogs pour piger la vanne homophobe.)

Un récit (comme Lucky Luke) pouvait être en couleur une semaine, en gris la semaine suivante, en rose la semaine d'après, puis revenir en couleur. A titre d'exemple, la page détaillée plus tôt a été publiée dans Spirou (et pas dans Mickey) (gag) (faut suivre, les gars) (le monde de l'humour avance, et il va avancer sans vous si vous ne vous mettez pas à la page des calembours qui piquent) la page détaillée plus tôt a été publiée dans Spirou avec cette gueule :

Papier merdique, colorisation à la va comme je te pousse, impression à la truelle, limitation des couleurs...
De la bien belle ouvrage, ma foi !


Avec différents niveaux de gris.

Différents niveaux de rouge.

 
Et des combinaisons de gris et de rouges.

Stratégie mise en place par les auteurs pour contrer les effets pervers de la réduction (parfois, sans prévenir, comme ça, paf) du nombre de couleurs disponibles :

Les dessinateurs qui sont tous des génies prêts à mettre cul par dessus tête les conventions Morris, tout seul comme un grand, a commencé à réfléchir à une répartition des couleurs qui pourrait avoir un tout aussi bon impact en niveaux de gris qu'en quadrichromie, en jouant notamment sur les contrastes entre masses de couleurs sombres et masses de couleurs claires, détermination d'un sujet dans un décor grâce à une seule et même couleur, contraste entre le décor et les personnages, antagonisme des personnages se reflétant dans la colorisation, etc...

 Quand la masse des prisonniers sont passifs et rouges de honte...

Et quand ces mêmes prisonniers sont relâchés (donc actifs) et que l'un parle (donc se différencie)...

Des contrastes simples pour faire ressortir les personnages par rapport au décor.

Une seule couleur pour une seule ambiance (Jolly et Lucky sont sur la même longueur d'onde).
On utilise simplement une trame noire pour séparer les éléments actifs (Lucky et Jolly) du décor bête et méchant.

Et c'est comme ça qu'à réfléchir à la couleur de cette manière :


On en vient à coloriser de cette manière :


(Il est bien entendu que je suis en train de vous faire du roman, hein... Morris n'a pas observé profondément des dégradés de roses pendant des heures avant d'avoir une illumination subite et de sortir de son bain pour crier, tout nu, dans la rue : « J'ai trouvé comment utiliser les couleurs ! J'ai trouvé comment utiliser les couleurs ! ». Ça a été une démarche progressive...)

(Seulement, voilà, de multiples contraintes industrielles ont fait émerger des réflexions et des expérimentations artistiques menant à l'accroissement des différentes qualités de Lucky Luke. Accroissement des qualités bande-dessinesques et accroissement des qualités purement plastiques.) (Aspects que je vais essayer de détailler plus bas et qui nous amènent à la fameuse planche des rivaux de Painful Gulch dites du « putain mais comment que ça claque ».)



Certes, ça claque, mais pas que.
C'est aussi très utile graphiquement et narrativement.

FAIRE RESSORTIR LES PROTAGONISTES ET LEURS ACTIONS (ASPECTS BANDE-DESSINESQUES).

Le « tout rouge » est là parce que c'est la panique.



Quand l'ambiance change, les couleurs changent aussi.

Le « tout rouge » est là parce que c'est dû à un feu.

En fait, il faut surtout remarquer le mélange « noir + rouge » qui arrive dès que le feu prend.


Ce mélange permet d'accroître les contrastes de couleur rouge / noir / jaune... 


...En même temps qu'il donne l'impression d'un horizon bouché (noir), d'une vraie catastrophe, d'un vrai tournant dans l'intrigue, différent des innombrables accrochages sans importance entre les deux familles qui ont précédé.


Le « tout rouge », enfin, est là parce que les deux familles sont placées sur le même plan et sont indifférenciées.

Les deux familles sont toutes de rouge vêtues : elles se trouvent dans le même bateau.

Fort logiquement, elles vont se trouver obligées de s'entraider.

Une idée qui se retrouve au moment de la grande réconciliation.
Le feu est éteint, donc pas de rouge pour englober tout le monde, mais des silhouettes 
grâce auxquelles tous les personnages sont placés sur le même plan de manière (presque) indifférenciée.

FAIRE RESSORTIR LES FORMES ET LES COULEURS (ASPECT PLASTIQUE).

Utiliser de grands aplats et des contrastes de couleurs franches amène l'auteur à faire de l'art contemporain sans trop y penser.

Pas du tout comme Roy Lichtenstein, cette grande baltringue.

Roy Lichtenstein utilise superficiellement une certaine forme (la bande dessinée) pour tenir un discours de fond sur une certaine superficialité (les sentiments pré-mâchés de la société moderne). 

Morris fait quasiment exactement le contraire en réfléchissant profondément à une forme vue comme superficielle (la bande dessinée d'humour jeunesse) pour en tirer des effets artistiques puissants (ici, pas de discours, mais des effets plastiques).

Bon. Alors... Vous en pensez ce que vous voulez, hein. Mais je trouve la démarche de Morris un peu plus finaude.

Une démarche qui réfléchit sur les alliances de couleurs (Rothko et Morris).

 

 

 

A l'inverse des alliances, cette démarche peut également jouer sur les contrastes.

Contraste entre couleur et noir, par exemple (Magritte et Morris).

 

 

Ou contrastes entre les différentes couleurs.


Les passages du jour à la nuit et de la quiétude à l'incendie sont basés sur la non-complémentarité des trois couleurs primaires.
 (Des changements marqués de situations sont montrés par des changements marqués de couleurs.) 
(Les aspects plastique et narratif se rejoignent.)

Ces contrastes font ensuite ressortir les formes.


Et voilà-t'y-pas qu'il faut réfléchir sur les formes, les représentations, les schématisations, les épures... 
Halàlà, c'est un travail, hein (Picasso et Morris) !


Enfin, sans surprise, travailler sur les formes ET les couleurs complémentaires amène à travailler sur les formes complémentaires (CQFD, j'ai envie de dire).

Vous connaissez le truc de la vague de Hokusai ?

Le truc, c'est que la vague et l'espace vide laissé par la vague, c'est la même forme. (Cherchez pas, c'est zen.)

N'empêche que, chez Morris, c'est pareil. Le feu et l'anti-feu sont une seule et même chose.

 



Contrastes des couleurs et complémentarité des formes, donc...


(Je vous avais pas dit que Morris était un ascète ?)

(Hein ?)

BREF !

Les différentes contraintes de colorisation auxquelles a dû faire face Morris (et son intelligence) lui ont permis d'approfondir son art pour le rendre plus réfléchi, plus beau, plus percutant.

Merci qui ?

Merci la quadrichromie !

MAIS MORRIS EST-IL SEUL SUR L'AFFAIRE ?

Certes non. Beaucoup d'artistes doivent composer avec des contraintes économico-techniques pour exercer leur art. Ils peuvent aussi, s'ils sont malins, transcender ces contraintes et, comme Morris, rendre leur art plus profond.

QUI ALORS ?

Que pensez-vous de David Mazzucchelli ?

BIN POURQUOI PAS, C'EST COMME TU VEUX.

A la semaine prochaine, alors.

AH ? EUH... OK.