jeudi 16 janvier 2014

La bande dessinée est la plus géniale de tout l'univers.

Bill Watterson nous montre que c'est quand même pas bien compliqué d'être le plus grand dieu que l'univers ait jamais connu.

(Sinon, ce message se fera en deux fois, avec plein de liens. C'est normal. C'est Calvin & Hobbes. Faut marquer le coup.)

Bill Watterson, Calvin & Hobbes, Universal Press Syndicate (?) & Les éditions du Lézard.

Durant tous les messages de ce blog, j'ai essayé de lister, petit à petit, certains éléments qui, selon moi, peuvent participer à la qualité d'une bande dessinée.

C'EST A DIRE ?

Si on veut commencer à faire une bande dessinée (ou simplement la comprendre) la première difficulté est, à mon sens, de réussir à isoler, décortiquer, et analyser les différents constituants qui la composent. En gros : pour comprendre comment construire une bibliothèque, il faut comprendre ce que sont les planches et les clous ; il faut apprendre à les fabriquer (comment se servir d'une scie, d'un rabot et de, euh... d'une fonderie... cette métaphore devient un peu trop capillotractée) ; puis, ensuite, il faut apprendre à utiliser les différents éléments entre eux (comment planter un clou) (un truc de dingue).

Tout ce bazar étant très vaste, j'ai essayé de me concentrer uniquement sur les moyens de construire une bande dessinée (je ne suis pas trop rentré dans les détails techniques d'un dessin ou d'une construction scénaristique) (parce que j'aurais dit beaucoup trop de conneries). Pour continuer dans l'image à deux balles : j'ai essayé d'expliquer comment vaguement construire une bibliothèque. Pas comment devenir ébéniste ou libraire.

BON.

Si on a grosso modo compris de quoi est composée une bande dessinée, vient ensuite la plus grande des difficultés : réussir le mariage du plus grand nombre de ces éléments.

EN EFFET.

C'est bien beau d'avoir un chouette scénario, mais si le dessin est en carton, ha bravo.

C'est bien beau d'avoir des personnages touchants, mais si leurs dialogues sont débiles, c'est la cata.

C'est bien beau d'avoir un dessin tout en mouvement, mais si l'encrage fait de gros pâtés, ça chie dans la colle.

DE FAIT.

C'est à ce moment qu'on peut commencer à discerner les gros-boss-velus-qui-touchent-leur-bille-sa-mère. En général (et ce n'est pas vrai tout le temps, mais, en général) ce sont ceux qui arrivent le mieux à marier le plus grand nombre de qualités dans leurs travaux.

WATTERSON EST UN DE CEUX-LA.

Parce qu'il a, entre autres :

  • Un beau dessin.
Un dessin dont le trait même exprime quelque chose.

Tout le personnage de Clavin (enfin... une partie...) réside dans ses cheveux tout fous plantés sur une bouille d'ange.
Ça résume bien la palette très large du personnage.

 Comme si on avait mixé la folie (des sourcils) et le calme (des yeux mi-clos) des deux plus beaux personnages d'Hugo Pratt.

  • Un dessin expressif.
Un dessin qui nous fait comprendre ce qu'il y a sous la simple représentation. Qui fait affleurer les sentiments des personnages (et/ou de l'auteur). (Du coup, le lecteur se retrouve devant quelque chose non pas qu'on lui dit, non pas qu'on lui décrit, mais qu'il ressent directement. On ne le lui raconte pas. Il le perçoit. Comme dans la vraie vie. Classe.)



Les pensées de désarroi-vague-et-doux des personnages que l'on comprend directement, graphiquement.

  • Un dessin efficace.
Un dessin qui ne s’embarrasse pas de fioritures et ne noie pas le poisson. De cette manière, le regard du lecteur n'est pas diverti par des détails sans importances, il peut mieux percevoir et décrypter les détails qui comptent.




Ne pas s'emmerder avec un décor superflu pour se concentrer sur les moindres modifications des visages des personnages. 

  • Une bande dessinée attentive.
Comme dit juste au-dessus, oui, juste là, scrollez deux-trois fois, vous y serez : décor, composition, couleurs, dialogues, il faut faire attention à tout. Qu'on le veuille ou non, la présence ou l’absence d'un pot de chambre sur la table de la salle à manger durant une scène de banquet voudra dire quelque chose pour le lecteur. Donc il faut bien faire attention à ne pas mettre, par inadvertance, comme ça, au débotté, sans faire gaffe, un pot de chambre sur la table de la salle à manger. Sauf si c'est voulu. Le premier jeu en bande dessinée est d'être bien au courant de cet état de fait et d'essayer de ne mettre que des éléments qui veulent dire quelque chose, en virant tous les autres.

 Dans une scène, dans une page, la saturation, ou le vide laissé par un décor de désert ont des significations, forcément...

Pour faire plus court, on peut dire que les intentions de l'auteur se cachent dans les moindres détails de ses cases.

Puisque tout compte, alors autant ne mettre que l'essentiel...

Chez Watterson, s'il n'y a pas de décor, ce n'est pas simplement pour mettre l'accent sur les sentiments de Calvin et les détails de son visage. C'est aussi utile à l'expression de nouvelles impressions.

S'il n'y a pas de décor, c'est parce que Calvin se sent bien seul.

S'il y a des petits brins d'herbe, c'est pour mesurer la distance qui s’accroît entre lui et son pelucheux ami.

Si un arbre réapparaît en seconde case, c'est parce que Calvin en a fini de ses réflexions et qu'il revient, un peu, à la réalité.

BREF. 

DANS UNE CASE, TOUT COMPTE.

  • Un découpage rythmé.
Une fois les cases définies, il faut les organiser les unes avec les autres. Comme pour la musique, c'est cette organisation, ce rythme, qui emporte la lecture, fait battre du pied sans qu'on s'en aperçoive.

Ce qui compte, c'est de réfléchir à la manière de transmettre des informations tout en donnant de l'allant à la lecture.


Ici, par exemple, tout est organisé pour arriver au Calvin tout seul en fin de page.

Au début, on observe une alternance entre les deux personnages (toujours spatialement proches) Hobbes/Calvin - Clavin/Hobbes - Hobbes/Calvin - Clavin-Hobbes. Un rythme qui facilite la lecture et donne une cadence binaire et répétitive.

Ce rythme, ainsi que la fusion entre les deux personnages, sont brisés nets dans le deuxième strip ; pour que l'on ressente la solitude de Calvin et son désarroi.

  • Un découpage qui crée du fond.
Il n' y a pas que le contenu de la case qui est importante. Il y a aussi la case en elle-même. Qu'une case soit longue (il se passe du temps) ou courte (rien ne compte que le personnage), avec un décor (le réel compte) ou sans (on se retrouve dans la tête du personnage), TOUT a une signification.

La première case n'est pas grande par hasard : elle traduit une longue attente.
Les deuxième et troisième cases ne sont pas biscornues par hasard : elles traduisent une surprise.

La simple « sur-case » verte qui encadre les trois autres cases n'est pas que là pour faire joli.

La « sur-case » rappelle que Calvin se balade dans la forêt. La forêt verte. Colorier tous les décors en vert aurait surchargé les images, dilué le propos, et rajouté du superflu. Alors que là, Calvin est bien entouré de vert, mais pas trop.

En plus cette « sur-case » permet de raconter « tout d'un bloc » les pérégrinations de Calvin et Hobbes. Ce qui rend le changement de rythme et la rupture de ton du second strip encore plus flagrants.

 Case turquoise : rupture de ton. (La seule case ou les corps des deux personnages se chevauchent.)

Cases longues : ton rompu. (Les deux personnages s'éloignent.)

  • Des personnages profonds.
Des personnages auxquels ont peut s'attacher pour les suivre tout au long du récit.

C'est comme ça... On n'y peut rien...

On veut se rapprocher des autres... Même s'ils sont en papier...

Parce qu'on est pas une crevure complète et qu'on s'intéresse à nos semblables...


  Où on moins reconnaître des situations que l'on peut voir dans nos vies...

 Comme des enfants qui jouent...


 


Plein d'enfants qui jouent...

  • Des situations profondes.
Des situations qui permettent de décrire des objets complexes (et qui vont donc durer plus longtemps dans l'esprit du lecteur).



Effectivement, dans les deux cas, on n'arrive pas à dire si c'est rigolo ou effrayant.

Et pendant qu'on réfléchit à ça, le goût et le plaisir de notre lecture se perpétuent dans notre esprit...

(C'est d'ailleurs pour ça que c'est bien d'être doué dans des tas de domaines différents en bande dessinée (comme Watterson, donc) (suivez, un peu). Outre que c'est bien de faire des choses bien et que c'est donc mieux bien de faire plein de choses bien ; faire plein de choses bien permet d'envoyer des tas de (bons) signaux différents au lecteur (couleur, scénario, dialogues, dessin, style de dessin, niveau de réalisme du dessin, découpage, etc.). Le temps qu'il décrypte tout ça, le plaisir de la lecture lui reste dans l'esprit derechef.)

  • Une bande dessinée stylée et personnelle.
Si on résume tous les points précédents : Watterson connaît les moindres arcanes de la bande dessinée, les maîtrise et les fait siennes. Il trouve des solutions personnelles aux différents problèmes techniques d'une bande dessinée, et, par là, il personnifie ses bandes, se les approprie, y met sa personnalité. En essayant de nous faire rentrer au mieux dans la tête de ses personnages, il nous fait aussi rentrer dans la sienne. Son esprit diffuse dans sa bande dessinée et la rend plus vivante.

Une bande dessinée dans laquelle l'auteur se sent bien et qui lui ressemble.

Entre un grand humain qui aime les petits chats et un petit garçon qui aime les gros tigres, il n'y a pas tant de différences...


BON BHÉ VOILA.

C'EST TOUT POUR CETTE SEMAINE.

SUR CE COUP, J'AI ESSAYÉ D’ÉNUMÉRER CERTAINES DES QUALITÉS DE WATTERSON.

LA PROCHAINE FOIS, J'ESSAYERAI DE MONTRER COMMENT ELLES SE GOUPILLENT TOUTES BIEN ENSEMBLE LES UNES LES AUTRES.

(J'ESSAYERAI, HEIN, ON VERRA BIEN CE QUE ÇA DONNERA.)


EN ATTENDANT, DEVOIR A LA MAISON :

DE LA LECTURE POUR LES ANGLOPHONES.

ET UN COMIC STRIP PAR JOUR ! (POUR LES ANGLOPHONES AUSSI.) (OBLIGATOIRE !) (ON NE CHOUINE PAS !)



2 commentaires:

  1. Vivement la semaine prochaine. Je suis un fan absolu de Calvin et Hobbes. Je pourrais pleurer de bonheur devant ces planches. Et je vais enfin savoir pourquoi. Cool. Merci.

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  2. Ouais, enfin, bon, j'ai peut-être fait un peu trop de teasing... Ça sera pas aussi intéressant que ça, hein...

    (En fait, je fais juste de la propagande pour que Watterson soit le prochain grand prix d'Angoulême.)

    (Je m'en retourne pleurer devant ses planches moi aussi. )

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