vendredi 24 mai 2013

La bande dessinée, c'est du grand art.

Uderzo, Goscinny et leur coloriste-sans-nom nous montrent que la bande dessinée, même avec des gros nez et des rayures verticales qui amincissent, peut être un reflet exact de la réalité.
  
Albert Uderzo (de qui sont les couleurs ? Mystère...) & René Goscinny, Astérix en Corse, Dargaud.
(Plus précisément, la première page d'Astérix en Corse.)

Quand j'étais enfant, ce que je trouvais vraiment épatant dans les Astérix, c'était que les personnages s'y engueulaient exactement comme mes parents (surtout, bien sûr, Bonnemine et Abraracourcix).

C'est ce qui fait, de toute éternité, la caractéristique et la force des aventures d'Astérix et Obélix. Créer une bande dessinée historique, supposée culturellement éloignée de la notre, pour mieux faire ressortir les points communs que nous avons avec tout ce petit monde.

Cet aspect est particulièrement prégnant dans la première page (présentée ici) d'Astérix en Corse.

Les auteurs réalisent un parallèle entre les enfants du village et les adultes qu'ils imitent. Sauf que les enfants n'imitent pas simplement les comportement de leurs parents. Ils imitent également la mécanique générale du récit.

On pourra donc observer dans cet album :
  • La diversité des gens (beaucoup de nations défilent dans le livre).
United Colors of plein de têtes.

Comme au rugby, il faut se retrouver sur les valeurs.

  • Les relations entre amis (Astérix et Obélix, bien sûr).
 C'est vrai ça ! Et pourquoi Obélix a pas droit à la potion magique ?

Se réjouir des choses simples...

  • Les relations entre « collègues » (qui rappellent drôlement des parents à la sortie de l’école).

Névroses parentales transmises aux enfants.

Haha, sacré eux !

  • Les relations dans la famille.
Oui, maman...

Oui, maman...
(Au passage, un bien beau message féministe sur la nécessité des femmes à la cuisine pendant que les hommes s'amusent.)

  • Et bien sûr, les enfants qui s'amusent.
Sont-y-pas mignons ?


Sont-y-pas mignons ?

Bref, en fait, les enfants sont utilisés pour nous présenter tous les ingrédients d'Astérix...

Et, en sus, ils permettent d'expliquer comment réaliser la recette...

Astérix, en une case.

Des enfants s'amusent donc à être des romains et des gaulois qui se battent (les auteurs s'amusent à raconter des histoires de romains et de gaulois qui se battent), pour finalement sortir du jeu et reproduire les comportements de leurs parents (pour finalement sortir du récit et reproduire les comportements de leurs contemporains).

Ils jouent comme des enfant, et juste après ils se disputent comme des grands.

Le contexte général de la guerre des Gaules ne tient pas bien longtemps (le jeu des enfants ne dure pas bien longtemps) et laisse rentrer le côté humain des personnages (les disputes) : un comportement qui ressort du récit historique-péplum-sérieux-entre-ici-Jean-Moulin parce qu'il est en rupture avec celui-ci (le côté parodique de Astérix et Obélix) et parce qu'il sonne vrai (la volonté des auteurs de représenter des personnages les plus réalistes et humains possibles).

Le côté humain des engueulades entre Obélix et Astérix allié au côté over-the-top du démontage de romains.


Over-the-top et engueulades, donc.

On peut remarquer que le dessin et le scénario sont à l'unisson de ce projet. Tout ce qui est dit est à la fois vrai et exagéré. Tout ce qui est dessiné est vrai et exagéré (les fameux nez !). Toutes les postures, les actions, sont à la fois vraies et exagérées. Tout est juste dans le ton, le vocabulaire, le rythme. Tout est juste dans les postures, les attitudes, les morphologies (même si caricaturales).

PETITE PAUSE : OBELIX, CE PERSONNAGE HYPER RÉALISTE.

Obélix et compagnie.

Obélix a des jambes arquées / pliées. Parce qu'il est très gros, et que c'est difficile de soutenir ce gros ventre pour ces petites jambes (qui sont petites parce que tous les personnages ont de petites jambes)...

Obélix a un pantalon qui lui arrive au plexus. Parce que là, il est calé. Et que, sinon, il ne ferait que tomber (ou alors il lui faudrait des bretelles).

Obélix a le gras des bras qui pendouille-mais-pas-trop. Exactement comme dans la vraie vie.

Obélix est l'exemple type du système « vrai et exagéré » des auteurs : un personnage exagérément gros, qui répond aux lois de la vraie physique.

ET ON Y RETOURNE.

Ainsi, les histoires d'Astérix et Obélix sont une lutte permanente contre l'idéalisation. Les auteurs cherchent, au contraire, la normalité physique autant que psychologique. Les héros se disputent, les héros se charrient, les héros tiennent les uns aux autres. Les héros sont petits, grands, poilus, chauves, gros, ou simplement enrobés.

Toutes les couleurs de la vie.

Les auteurs ne veulent pas décrire un monde tel qu'il pourrait être, ou un monde qui pourrait nous faire rêver, nous inspirer. Il veulent décrire notre monde.

Ils ne veulent pas qu'on s'imagine pouvoir être Tom Cruise sauvant le président de l'ONU le jour de la fin du monde (ce qui serait, du coup, un peu vain). Ils veulent simplement tendre un miroir dans lequel on se reconnaisse.

Le seul idéalisme que l'on pourrait voir passe au travers d'une sorte de trans-nationalisme, puisque dans cet album il n'y a pas simplement des petits et des gros, il y a aussi des petits espagnols et de gros anglais. Une certaine vision universaliste, donc. (Goscinny était d'ailleurs assez énervé du parallèle de Gaulle / Astérix fait dans les années soixante par les médias. Pour lui, ayant passé son enfance en Argentine et ayant débuté sa vie professionnelle aux États-Unis, la notion de nation était très floue. Et cela rejoint donc le propos des livres. Décrire l'humain. Qui, comme les nuages radioactifs, ne s'arrête pas à une frontière.)

Idéalisme trans-nationalo-régional : taper sur les romains.

Bon, d'accord...

Mais à quoi ça sert de tendre ce miroir ?

On a vu précédemment que l'art essayait de « produire chez l’homme un état de sensibilité et d’éveil ».

Et c'est ce que font Uderzo et Goscinny en nous faisant nous reconnaître dans leurs personnages.

Ils semblent réels. Leur monde semble être le nôtre. L'humanité des personnages devient la matière créée par le livre. Il semble que nous voyions mieux certains aspects de nos vies sous le coup de projecteur des auteurs. Il semble que nous soyons plus sensibles, plus éveillés à notre propre vie.

Les auteurs ne cherchent ni la vraisemblance (la potion magique, bha oui!) ni le vrai (les gaulois gagnent, César est vert de peur) mais à créer cette impression de vrai en rendant saillants les différents aspects de notre vie au travers des décalages historiques.

Cela crée donc une sorte de cercle vertueux de « réalité ».

On se dit réellement « Sont-y-pas mignons ? ». 
On opère réellement un parallèle entre ces enfants et ceux de notre époque. Seuls les costumes changent.

Les auteurs insufflent de la « vraie vie » dans des personnages. Le lecteur reconnaît cette « vraie vie » et se l'approprie d'autant plus facilement. Du coup, le lecteur insuffle lui aussi sa « vraie vie » (en se rappelant les engueulades de ses parents, les jeux des enfants). Le récit n'en semble que plus « vrai ». Le lecteur n'en est que plus « éveillé ».

Du grand art, donc.

4 commentaires:

  1. Merci pour vos billets toujours fort intéressants.

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    1. Merci pour vos compliments toujours très ravigotants.

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  2. Excellent. Hyper bien analysé et tout.
    A quand un post sur Tintin???

    Et en parlant de Tintin, allez voir http://laviedetintin.tumblr.com/

    C'est bien marrant :)

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    1. Hé bien, euh, des fois je parle quand même de Tintin, mais c'est vrai que ce sont des généralités...

      Dans le genre "plus précisément sur le mec à houppette", il y a ce message : http://le-zouave-interplanetaire.blogspot.fr/2013/04/la-bande-dessinee-est-un-reve.html

      J'ai pas mieux en stock...

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