vendredi 22 mars 2013

La bande dessinée est un marsupilami.

Franquin nous montre ce qu'il aime vraiment faire dans ses bandes dessinées, et résume le tout à un petit animal poilu.

Rosy, Will et Franquin, Spirou et Fantasio – Les pirates du silence, Dupuis.
(Et aussi des bouts du nid des marsupilamis,du voyageur du mésozoïque et de la foire aux gangsters.)

Le marsupilami est à peu près tout ce qu'aime trouver Franquin dans ses personnages.

Le marsupilami est intrépide. Mais il n’est pas le seul.

 
Le marsupilami est forticho-colérique. Mais d’autres le suivent sur ce mauvais penchant.

Le marsupilami est attachant. Mais, de toute façon, chez Franquin, tout le monde est amour.

 
Le marsupilami est débrouillardo-inventif.
Mais, dans le monde de Gaston, on se doute bien que c’est assez courant.

 
Et puis, surtout, le marsupilami est mignon

MAIS IL N'Y A PAS QUE ÇA !

En plus du caractère de l'animal, sa simple queue permet à Franquin de multiplier les trouvailles graphiques et/ou narratives.

Par exemple, cette queue est utilisée pour exprimer les sentiments du petit animal à peau de guépard.

 La queue du marsupilami, ou l’abstraction structurelle dans le graphisme, pour les moins de 7 ans.

À chaque case, donc, la queue du marsupilami se transforme en une espèce de trait pur, exprimant les pensées de son possesseur de manière très élégante, sans le besoin de rajouter aucun autre artifice. Un trait pour exprimer une pensée. Une sorte d'idéal du dessinateur.

MAIS CE N'EST PAS TOUT !

Cette queue permet également de gérer les actions du personnage mieux qu'un couteau suisse, et de manière bien plus inventive.

Une queue de marsupilami, ça sert à tout.

Et elle permet surtout de ne pas perdre son temps.

Bang bang. Boîng. Dzing. Boum.

Dans cette scène, si on avait voulu faire les choses dans les règles, voilà quel genre de pensées aurait dû articuler un bête animal sans queue (un fourmilier, par exemple) :

                    Tiens donc, voilà une vitre.
                    Attends, il faut la casser, je vais chercher un caillou.
                    Un caillou... Un caillou... Où est-ce que je vais trouver un caillou ?
                    Ah ! Voilà mon caillou.
                    Voilà, voilà... Je reviens avec ce fameux caillou, un peu de patience...
                    Bon, bhé allons-y alors, pétons la vitre.
                    Pif, paf, voilà une affaire rondement menée.

Bref, le fourmilier aurait pris des plombes, alors que le marsupilami offre une solution rapide (une case), amusante (vive les ressorts), héroïque et imaginative. Tout ceci pour renforcer le personnage, l'histoire (qui file à la vitesse du son) et la fantaisie de l’ensemble. Que demander de plus ?…

Tentative pathétique de Spirou pour palier son manque évident d’appendice.

QUESTION QUIZZ SUBSIDIAIRE.

Devinerez-vous pourquoi, alors qu'il allait sans cesse de gauche à droite, le mouvement du marsupilami traversant une vitre se trouve être de droite à gauche ? Un indice s’affiche chez vous sur vos écrans.

MAIS CE N'EST PAS FINI !

La queue du marsupilami permet également d'organiser l'enchaînement des cases et la lecture générale de la planche.

Promenons-nous dans nos vertes campagnes.

Cette queue est comme une flèche qui nous indiquerait d'où vient le marsupilami (du bout de sa queue), où il va (truffe = pointe de flèche) et de quelle manière (la queue est détendue = le marsupilami vadrouille tranquillement).

On suit donc cette flèche / ce marsupilami pour arriver à la case suivante.

Un chien apparaît. Que faites-vous ?
(Réponse c : je mets mon clignotant.)

Dans cette deuxième case, on a grosso modo les mêmes informations que dans la précédente, sauf que la queue bouchonne et les lacets de celle-ci s'entassent. On nous informe donc que le marsupilami butte sur quelque chose. Sur quoi ? Hé bien la truffe-pointe-de-flèche nous le montre directement.

Une fois débarrassé du cabot, le marsupilami se dépêche et parcours vite une grande distance. Comment savons-nous ça ? Hé bien parce que, dans la quatrième case, la queue est longue (un long trajet depuis la case précédente) et droite (autant, quand il y a des plis, c'est que ça bouchonne ; autant, quand c'est tout droit, c'est que ça file à toute blinde).

Dans laquelle la queue est à la fois un trait stylisé, une ligne de force intégrée, et une manière de montrer la distance parcourue.
Ça, c’est ce que j’appelle de l’art, mon cher.

Là encore, c'est la pointe de flèche-de-truffe du marsupilami qui organise la lecture : celle-ci pointe sur le soupirail auquel il va s’intéresser (et nous avec) à la case suivante.

Pour finir, comme il se doit, sur un marsupilami mignon.

Qu'est-ce que je vous disais ? Il est tellement intéressé par ce soupirail que :
  • Il reste la truffe pointée dessus.
  • Sa queue fait des ronds dans l'air. (Quand la queue était droite cela indiquait que le marsupilami filait rapidement de gauche à droite. Quand la queue fait des tours et des détours, cela nous fait comprendre qu'il va rester sur place).

Pour finir, arrivé à son but, la taille (visible) de la queue du marsupilami se réduit et pointe vers le haut (les mouvement du marsupilami se réduisent, donc l’instrument qui nous permet de mesurer ces mouvements se réduit aussi). C'était déjà vrai dans la troisième case, le bout de queue servant juste à exprimer « graphiquement » son état d'esprit combatif. C'est aussi vrai dans la sixième case (le marsupilami soulève le soupirail), pour les mêmes raisons. C'est encore vrai dans la septième case (le marsupilami colle son nez à la vitre), la queue pointant à la verticale, vers le bas, pour signaler, tel un GPS des temps anciens, qu'il est arrivé à destination.

QUESTION QUIZZ SUBSIDIAIRE (LE RETOUR).

Lorsque le marsupilami soulève le soupirail, saurez-vous expliquer la position de son propre corps (de droite à gauche) et le mouvement du soupirail (de gauche à droite) ?

MORALITÉ DE L'HISTOIRE.

Nous avons donc une bestiole inventée par Franquin qui permet :
  • de balayer à l'envie les caractères qu'affectionne l'auteur,
  •  d'imaginer les situations les plus rocambolesco-rigolotes possibles (et le moyen d'en sortir),
  • de faire du dessin pur (un trait communiquant une émotion),
  • d'organiser la lecture complète d'une page de bande dessinée.   

PRESCRIPTION.

A chaque fois qu'on laisse, éventuellement, au hasard d’une inconstance, s’installer une précarité sur la certitude que Franquin est un très grand de la bande dessinée, il faut se pencher sur le petit animal jaune et noir tout mignon.

Franquin a une réputation inégalée de grand humaniste (les caractères touchants de Spirou, Fantasio, et tous les autres personnages), de graphiste puissant (le « trait pur » de la queue du marsupilami) et de créateur à l'imaginaire échevelé (la queue en ressort).

Mais on dit moins souvent que toutes ces qualités se combinent à une technique de pure bande dessinée tellement parfaite qu'elle passe tout en délicatesse, cachée sous la masse des autres capacités de l'auteur.

Quand on doute, il faut relire un peu de marsupilami.

6 commentaires:

  1. Pour ma part, je ne doute jamais des qualités des travaux de Franquin !

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    1. Voilà un parti pris fort judicieux ! Au moins, c'est carré !

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  2. Le Marsupilami revient chez Dupuis ! http://www.actuabd.com/Les-editions-Dupuis-reprennent-le

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    1. Après un message sur "Le corbac aux baskets" au moment de la sortie du dernier Philémon, on peut dire que je suis à la pointe de l'actualité !

      Comme le prochain message porte sur Hellboy, j'espère que Mike Mignola sera assez gentil pour faire parler de lui. (Il peut se casser les deux jambes au ski, par exemple. Je m'en satisferais parfaitement. Je ne suis pas exigeant.)

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  3. C'était vraiment très intéressant!! Une analyse bien sympathique, qui rend encore plus admiratif de Franquin et de son oeuvre. Merci!

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    1. C'est quand même gentil de dire que c'était intéressant, parce que, ne nous voilons pas la face, c'est un peu le but. Donc : merci.

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