lundi 25 février 2013

La bande dessinée est une île mouvante.

Juste en passant, et en attendant le prochain billet, une petite mise au point.

« La bande dessinée est une femme qui marche. », « La bande dessinée est un homme qui danse. », « La bande dessinée est un plat de spaghettis. », « La bande dessinée est un gros monsieur avec un nez rouge, qui marche sur les mains et qui dit pouêt. ».

Ça devient un peu n'importe quoi toutes ces définitions à deux balles. Faudrait savoir : soit c'est l'un, soit c'est l'autre. On ne va pas inventer une définition à chaque fois !

Eh bin pourquoi pas.


Dylan HorrocksHicksville, Drawn and Quaterly & L'Association (avec l'aide de Monique Laxalt et Jean-Yves Duhoo).


Le problème d'une bande dessinée, c'est qu'elle peut avoir un but très différent de sa voisine. Il y a des bandes dessinées qui sont des représentations de l'univers. Il y a des bandes dessinées qui sont un message à faire partager. Il y a des bandes dessinées qui se vouent à la description de quelque chose de précis (un objet, une idée, un état, une émotion). Il y a des bandes dessinées qui veulent raconter au mieux une histoire. Il y a des bandes dessinées qui veulent raconter, avec les moyens du bord, la plus belle des histoires. (Non, ce n'est pas la Bible.) (Non, ce n'est pas non plus le Coran.) (Non, ce n'est pas non plus... bon, flûte.)

J'en oublie donc, et des tonnes.

Rébétiko, par exemple, est à cheval entre à peu près tout ce qui vient d'être cité. Zha et Claveloux essayaient de communiquer un sentiment assez précis d'étrangeté, d'inconfort et de curiosité. Bilal, ce qui lui importe le plus, c'est de décrire au mieux sa vision du monde. Fred veut construire la bande dessinée la plus libre possible. Blueberry est un modèle de bande dessinée efficace (avec tout ce qu'on met de mépris dans ce terme), inscrite dans un genre, et qui a su transcender cette mise de départ par l'art qui y a été développé et par le message qui y a été perverti, enrichi, et plein de mots en « i ». Les murs de cette bande dessinée ont petit à petit été repoussés. La nature de ce qu'était Blueberry a elle-même été redéfinie plusieurs fois, au fur et à mesure de l'évolution des auteurs.

Ainsi, il existe presque autant de bandes dessinées que de buts à une bande dessinée. Et, très logiquement, pour dire quelque chose de différent, il faut utiliser des règles, des idées, des conceptions, des approches différentes. 

Ce qui est très facile au final, puisque chaque auteur apporte sa vision de tout ce pataquès avec lui : il observe le champ des possibles de ce que peut être une bande dessinée et y choisit ce dont il a besoin et ce qui le séduit. Cette vision se modifiera, à coup sûr, pour chaque auteur comme pour chaque lecteur, au cours de sa vie.

Parcourant cet océan des possibles, la bande dessinée est, pour chacun de nous, une île mouvante.




7 commentaires:

  1. J'avais beaucoup aimé le concept de Hicksville et faudrait que je le relise.
    La Bande Dessinée est le contraire du Roman Graphique. La Bande Dessinée a la forme d'une allumette soufrée.
    Ce qui me gêne chez certains auteurs, c'est qu'ils ont visiblement renoncé à l'idée que la BD était vaste.

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    2. Alors, dans l'ordre :

      Hicksville est vraiment un super bouquin, mais qui tient beaucoup sur son concept, son secret, ce qui le rend quasiment impossible à chroniquer sans tout spoiler à tort et à travers, alors je me suis un peu défaussé. Il faut dire aussi que le discours du livre "mais SI, la BD, c'est GRANDIOSE", ça ne peut que séduire.

      Il y a quand même des "romans graphiques" qui sortent du système "attention je suis un auteur ; attention, c'est du sérieux ; attention, je vais développer avec thèse, antithèse et synthèse" et qui peuvent prendre, à l'occasion, la forme d'un champ de blé. (Là, comme ça, je pense à Jim Woodring, mais en même temps, ce sont des recueils d'histoires courtes, alors je ne sais pas si ça compte. Pareil : Akira, est-ce que c'est un roman graphique ?)

      Ce qui m'amène à mon principal problème sur les romans graphiques : je n'ai jamais vraiment compris ce qui en était et ce qui n'en était pas. Le côté "Nous on fait des romans graphiques, on ne fait pas le même métier que les gars de chez Soleil", je veux bien ; mais après il faut savoir où on pose la frontière, et qui la pose, et les problèmes commencent. Je m'évite très astucieusement ces migraines en fourrant tout le monde dans la grande famille de la bande dessinée où tout le monde est copain avec tout le monde.

      Mon second problème avec les romans graphiques, c'est qu'au départ ça a été utilisé comme cheval de Troie pour faire lire de la BD aux critiques littéraires en leur disant "ce n'est pas une BD, c'est un roman graphique". Et alors ils répondaient "Ooooh, d'aaaacoooord". Mais ça s'est complètement retourné et maintenant tous les critiques littéraires, pour défendre une bande dessinée, disent bien consciencieusement : "Mais n'ayez pas peur, ce n'est pas une BD, c'est un roman graphique" (même quand ils parlent d'un Larcenet). Du coup, dès qu'une BD est bien, ce n'est plus une BD. Du coup, dès qu'une BD est pourrie, c'est bien une BD. Un bel exemple de communication foirée.

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  2. Je suis tout à fait d'accord avec l'artificialité du terme "roman graphique". D'ailleurs, Dupuy a publié récemment un "roman graphique" qui était un roman avec des dessins. Pour moi, c'est comme si on disait que le cinéma intelligent était du "roman filmé". Tout ça, c'est de la création de tiroirs pour permettre à certains de se la péter et à d'autres de se simplifier la vie (les pires navets des Charlots, c'est encore du cinéma à ce que je sache). On voit bien que dans une certaine presse, on tâche d'éviter de parler de BD parce que ça fait juste vulgaire - et je ne parle pas de presse intello mais de presse... féminine.

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    1. Bin, dans les romans, on fait plutôt des castes entre littérature blanche et littérature de genre. Au cinéma aussi, d'ailleurs. Cinéma d'auteur et cinéma d'horreur/comique/policier. J'ai déjà entendu des critiques dirent "c'est pas un polar, c'est un vrai film". (Mais c'est vrai que ce n'est pas une idée préconçue qui circule dans la société, plus des tensions de cinéphiles.) (En tout cas, tu ne peux pas (plus) balancer un "le cinéma, ce truc pour débiles" sans qu'on te reprenne. Concernant la bande dessinée, tu peux, et alors, au mieux, on te répondra d'un timide "oui mais il y a les romans graphiques, quand même").

      Le truc, en bande dessinée, c'est que cette dichotomie est venue des auteurs eux-mêmes. Si ça avait marché, que les auteurs avaient juste réussi à changer dans l'esprit des gens "bande dessinée" en "roman graphique" et que tout le monde s'était mis à lire du Franquin en disant "ça, c'est un super roman graphique", pourquoi pas. Mais raté. Les critiques lisent du Bechdel la larme à l'oeil et se pincent le nez quand ils passent devant des Spirous.

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  3. Oui, c'est vrai que les auteurs en France ont lourdement insisté là-dessus. Alors que ça existait déjà avec la collec A Suivre de chez Caster ou chez les Humanos. De toute manière, créer un terme en partant d'un sentiment de supériorité, n'importe quel spécialiste du nazisme vous expliquera que ça part d'un mauvais sentiment.

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    1. Mais, justement, Hicksville arrive à s'extraire de tout ça : c'est un "roman graphique", mais avec des super-héros, mais avec des sentiments, mais avec du thriller, mais sur la bande dessinée. ça évite toutes les cases dans lequel on pourrait vouloir le mettre (ce qui tombe bien puisque c'est un peu le discours du bouquin).

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